Je penchais pour une étoile de moins, mais il en fut autrement à l’aune des ultimes notes d’un certain romancero, faisant du Chant de Susannah une étape décidément marquante dans la quête de la Tour Sombre : ce semblant d’épilogue est en ce sens symptomatique de la maestria narrative de Stephen King, l’écrivain poussant à son paroxysme le statut inestimable d’une diégèse à la croisée des mondes.
Auparavant, ce sixième opus enjoignait déjà à l’enthousiasme à l’orée d’un dénouement se précisant, mais la division de l’intrigue en trois axes liés mais distants rompait avec l’intensité des précédents volets : fort heureusement, sa perception reste à nuancer tant une telle exécution demeure légitime comme divertissante, Le Chant de Susannah parvenant bien à maintenir le cap entre trois tandems (quoique, un trio complète le tableau) remarquables.
Parmi leurs pérégrinations, le devenir de cette dernière constitue naturellement le cœur du récit, et que dire si ce n’est que ce duo aux frontières du tangible tient de la prise d’otage en bonne et due forme : l’existence même de Mia et ses motivations alimentent alors un fil rouge non avare en révélations, l’auteur en profitant pour développer encore plus Susannah au contact d’une ravisseuse insaisissable. Si le pourquoi du comment peut porter à réflexion, le processus explicitant l’entrée en jeu de Mia étant à ce titre quelque peu alambiqué, cette cohabitation forcée compense cependant la chose au gré d’une relation décidément unique.
Un segment indispensable mais au final quelque peu moins attrayant que les deux autres, connexes à bien des égards mais fondamentalement différents : l’invariable paire formée par Roland et Eddie illustrera la polyvalence d’un récit tantôt tumultueux (une fusillade à couteaux tirés), tantôt riche en enseignements, tandis que l’association originale de Callahan à Jake & Ote souligne les facéties d’une intrigue rebattant les cartes. Non avare en éclaircies, Le Chant de Susannah nous en donne donc pour notre argent en faisant intervenir pour de bon Sai King dans l’échiquier disruptif de la Tour Sombre, portant dès lors le roman aux frontières de l’introspection fantastique, métaphysique et philosophique : un cocktail savant n’ayant d’égal que la fluidité d’une narration généreuse comme maîtrisée, mais nul doute que l’ensemble ne ménage guère nos méninges... et l’on en redemanderait volontiers !
Plus terre à terre, les tribulations de Jake et consorts dénotent alors, si ce n’est qu’elles s’attachent une imprévisibilité savoureuse en faisant de cette l’équipe la plus intrigante du lot : et s’il s’agit pour autant de la partie la moins fournie du trio, son atmosphère particulière ponctuée par un semblant de cliffhanger diabolique met parfaitement en évidence le double-emploi que revêt Le Chant de Susannah... servant à la fois de progression scénaristique notable, et de tremplin à une conclusion désormais à portée de main (ou presque).
C’est d’ailleurs on ne peut plus explicite, tant le dénouement de cet opus tient de la fin ouverte en grande pompe, et ce bien plus encore que ses prédécesseurs. Bientôt, le cycle phare de Stephen King arrivera à son terme, mais il reste encore un dernier obstacle de taille à franchir, l’ultime palier et objet de toutes les convoitises : car voici venir la Tour Sombre.