[Mot pré-lecture : le premier spoiler est un vrai spoiler, quoique sur un aspect secondaire de l'histoire. Le second spoiler est plus léger. À vos risques et périls.]
Le Chant des Cavalières, c'est donc un roman fantasy d'une jeune autrice française. Le titre et la 4e de couverture nous promettent une aventure remplie de personnages féminins, et en effet, les hommes se comptent sur les doigts d'une main (et ont la plupart du temps un rôle très restreint) alors que les femmes foisonnent. Dans le paysage littéraire où il est courant de croiser des livres sans le moindre personnage féminin important, et certainement en fantasy, c'est suffisamment rare pour être relevé. Sans réinventer la poudre, Jeanne Mariem Corrèze s'éloigne délibérément des standards éculés du genre, en assumant un royaume dans lequel des communautés de femmes, chevauchant des dragons et maniant les armes, possèdent un pouvoir politique important. Dans une forme de suite logique de ces choix, les règles et la ménopause sont mentionnées de façon tout à fait naturelle, de même que les amours lesbiens, complètement admis.
À propos d'amours d'ailleurs, une relation en particulier me semble questionnable : je ne suis plus certain de l'âge de Sophie et Pèn, mais après l'ellipse de 4 ans, elles doivent avoir 15 ou 16 ans ; or Pèn et Berhane, pourtant déjà solide intendante 4 ans auparavant, et dont on peut supposer qu'elle doit avoir minimum 30 ans, filent le parfait amour ensemble. Était-ce nécessaire ?
L'aventure de Sophie, quant à elle, m'a longtemps emmené avec plaisir. Passé un 1er chapitre rebutant, son apprentissage et ses doutes couplés à la découverte du monde rendent l'histoire prenante. Toutefois, certains éléments manquent de liant d'un chapitre à l'autre, et la fin arrive bien trop vite. À tel point que non seulement les tenants et aboutissants restent flous, mais les actions des personnages dans le final aussi. Les derniers chapitres sont d'ailleurs poussifs, la narration y étant plus fouillie.
J'ai dit que le 1er chapitre était rebutant, et c'est bien là la raison : à force de cultiver le mystère en ne levant systématiquement qu'un coin du voile, des pans entiers de la construction du monde restent invisibles ou instables. Les motivations de chaque personnage, notamment, restent nébuleuses. Le lecteur finit donc ballotté d'un évènement à l'autre sans comprendre pourquoi, à l'instar de la protagoniste qui a l'air de se poser bien peu de questions.
Par ailleurs, on aurait par exemple aimé voir développées plus longuement et plus concrètement les différentes formes de pouvoir, entre la royauté, le duo prince/condottiere, et la république que certaines cavalières appellent de leurs vœux. Un changement de paradigme dans un univers fantasy, où l'ordre et le statu quo triomphent la plupart du temps, c'est assez rare pour être intéressant. Malheureusement, ces trois formes de pouvoir ne sont qu'effleurées, alors même qu'elles sont au cœur des dissensions entre les matriarches.
Ajoutons enfin que, dans la plus pure tradition des livres fantasy, chaque chapitre s'ouvre sur une citation, un poème, bref quelque chose qui se situe hors du temps de l'intrigue. Comme souvent, ces extraits n'ajoutent rien à l'histoire. On aurait pu s'en passer.
Au final, ce Chant des Cavalières est une semi-déception pour ma part. Un certain nombre de bonnes idées se démarquent, et le roman est sans doute une bonne lecture pour des jeunes ados, mais on sent que c'est le premier roman d'une jeune autrice qui doit encore parfaire sa plume.
Note de service à l'éditeur : un⋅e correcteur⋅trice ne ferait pas de mal. Entre les futurs pour des conditionnels et inversement, les finales à la 3e personne du pluriel sur... des adjectifs, ou les virgules mal placées, j'ai été sorti de ma lecture plus d'une fois. Pourtant, je n'y fais pas attention quand je lis. Et je ne parle pas d'un oubli une fois de temps en temps : la confusion futur/conditionnel est systématique !