Lorsque chez mon libraire j'ai opté pour le Château des poisons, j'étais conquis d'avance. La quatrième de couverture annonçait monts et merveilles et les premières pages affichaient autant de qualités d'écriture que de mise en scène. Et pourtant...

On ne peut se satisfaire d'une belle écriture. Au-delà de ce style aiguisé, le livre souffre de trop grandes carences pour répondre à toutes ses ambitions.

Dès l'incipit Brussolo s’attelle à dépeindre un Moyen Age souffreteux, à chaque instant plus sombre et plus décadent. Il immerge son lecteur dans cette atmosphère aux relents de vieille viande faisandée, celle de la mort et de la maladie omniprésente. Un travail plutôt réussi, par ailleurs, quoique par moment à la limite du caricatural. Dans ce monde à l'agonie, Brussolo nous présente un héros tragique, pauvre homme magnifié par le désespoir et la fatalité, qui deviendra malgré lui chevalier. Un chevalier errant, un triste sir condamné à vivoter car de trop basse extraction. D'emblée, il suscite une forme de vague sympathie... qui s'étiole par la suite pour laisser place à une inéluctable indifférence. Ligne après ligne, Jehan de Montpéril devient plus fade, plus imbécile, au point qu'arrivé à la moitié de l'ouvrage ses péripéties ne font plus ni chaud ni froid. D'autres avant Brussolo avaient compris que lorsqu'on axe son récit autour d'un enquêteur, il convient de le doter d'un fort tempérament. Qu'ils s'appellent Conan Doyle, Christie, Chandler ou même Eco (pour rester dans le thriller médiéval) ils ont chacun créé des personnages aussi atypiques que volcaniques – et tous plus différents les uns des autres, d'ailleurs. Parce qu'ils savaient que sans un personnage au caractère hautement affirmé l'enquête perdrait vite tout intérêt ; et que la lecture fiévreuse se verrait remplacée par une sorte de curiosité résignée et désabusée qui préférera bien trop souvent oublier le bouquin sur une étagère que de le terminer.

L'absence de personnage charismatique pour conduire le récit ramène le lecteur à se focaliser sur un autre point essentiel du roman policier : l'intrigue. Mais là aussi l'auteur se plante, que dis-je, il se ramasse, s'étale de tout son long dans un infâme brouet de boue et d'excréments, s'y baigne, y patauge gaiement comme le plus jovial des pourceaux. À aucun moment, aucun, on ne croit en cette intrigue. Elle avance en chancelant, cahote, tousse ; au lieu d'avancer fluidement et imperceptiblement comme c'est le cas dans les meilleurs romans, celle-ci laisse trop ressentir l'influence de l'auteur, et l'on aperçoit de temps à autre les fils chatoyants de notre gentil cochon-marionnetiste. Si le lecteur ne peut adhérer à cette histoire, c'est aussi et surtout à cause des manquements de cette intrigue, trop décousue et tirée à bout de bras par notre démiurge evanescent ; alors bien vite la voilà qui manque de rythme et s'essouffle comme un obèse dans les escaliers de la gare. Par exemple : qu'est ce qui conduit en premier lieu Jehan de Montpéril à séjourner et glandouiller au château d'Ornon de Guy plutôt que d'aller se cherchouiller un autre emploi (et Dieu sait qu'il aurait besoin de boulot!) ? Pourquoi trouve-t-il soudain très judicieux de mener une enquête qui n'est d'aucun intérêt pour lui sinon de le foutre dans la panade ? On s'interroge bien trop souvent sur de potentielles motivations du personnage pour justifier les errements de l'intrigue ; alors si le-dit personnage lui-même s'affirme par sa non-affirmation, nous voilà sacrément dans la panade. L'ennui ce n'est pas que le personnage remplisse une fonction tout arrêtée par l'auteur, c'est qu'on le sache et qu'on ne puisse se départir de ce pesant savoir ; parce que du coup le récit sonne faux. Jehan de Montpéril n'est qu'un prétexte à l'évolution narrative, il est présent uniquement parce qu'il fallait un pantin permettant à l'auteur de raconter sa petite histoire.

Voilà pourquoi je note durement Brussolo et son Château des poisons. Ca ne sert pas à grand chose d'écrire convenablement si au bout de dix pages le lecteur n'est plus prêt à adhérer à ce qu'on raconte ; c'est un peu comme d'apercevoir au cinéma, dans l'angle d'un miroir, la caméra ou la perche. La magie n'opère plus, on remballe le chapiteau, le spectacle est fini.
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le 27 août 2013

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Mojo Saurus

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