Pierre-Jakez Helias fait le portrait de la société bigoudène du début du XXème siècle et illustre parfaitement la transition progressive de la tradition vers la modernité. Le récit est précis et ordonné. Tous les aspects de la vie quotidienne de cette communauté rurale y sont décrits avec la précision de l'homme qui a vécu dans cette civilisation "ultralocale" et holiste, où tous les codes et les usages sont orientés vers la préservation de celle-ci. Elle paraissait pourtant indestructible cette vie rythmée par les saisons, la solidarité à chaque instant, les nécessités de la culture de la terre, le calendrier religieux et les préconisations du recteur.
Or, dès la guerre de 14, elle commence à se lézarder. La ville, la technologie, le français, l'école, le radical socialisme, le vin rouge, l'exode rural commencent à bousculer la torpeur de ces villages où tout le monde se connaît, où le contrôle social et la peur du jugement d'autrui sont rois. L'auteur décrit aussi la vie dure et la pauvreté qui étaient monnaie courante dans cette contrée encore reculée dans les années 1920 ou 1930.
Certains passages y sont néanmoins un peu rébarbatifs, voire répétitifs. Le récit m'a semblé parfois manquer de relief et de dynamisme. A quoi bon par exemple décrire sur 10 pages l'utilisation d'une toupie par des écoliers ou la réparation de sabots? Les analyses associées manquent également un peu de puissance. J'en retiens finalement la force du bon sens paysan et le mépris injustifié/l'incompréhension vis-à-vis de ces indigènes européens en voie d'extinction inéluctable dans un monde occidental en pleine révolution technique et individualiste. Comme l'indique PJ Helias, il s'intéresse aux générations passées, pas à celles à venir, et c'est peut-être ce qui manque à l'oeuvre, quel héritage pour les générations futures, mis à part ce portrait descriptif d'un monde ancien?
L'ouvrage manque aussi sans doute de poésie. La description des paysages et des ambiances est souvent dénuée de générosité et d'âme. Je n'y ai pas retrouvé la magie que l'on peut ressentir dans cette région fascinante et mystique de l'extrême ouest européen (le pays bigouden), cette langue de terre juchée face à l'immensité abyssale de l'océan. Elle a pourtant tant inspiré les artistes depuis plusieurs siècles. Un petit extrait du film de Pierre Schoendoerffer "le Crabe Tambour" juste pour le plaisir: https://www.youtube.com/watch?v=Ozy1Foe_LOc