Dans la lignée courtoise.
A côté des célèbres romans de Chrétien de Troyes, il nous reste de lui deux chansons. Le volume en est donc insignifiant, mais le contenu et la technique s'inscrivent dans une longue évolution littéraire et conceptuelle.
Ces chansons sont "courtoises" dans la mesure où la Dame des pensées du poète doit être une véritable maîtresse, au sens où tous ses caprices doivent être satisfaits par l'amant, y compris le plus démoralisant de tous: la froideur et l'indifférence. Les chansons ont donc pour thème l'obstination dans l'Amour en dépit de l'absence de récompense par la jouissance.
Ce thème n'était pas vécu de la même manière chez tous les poètes "courtois" de l'époque de Chrétien de Troyes. Il semble clair que Chrétien répond ici à la position du troubadour Bernart de Ventadorn, qui conseillerait plutôt de se détourner de l'amour non partagé.
Dans le même état d'esprit, Chrétien de Troyes conteste l'éthique de l'amour fatal, suscité par un philtre magique, tel qu'on peut le trouver dans l'histoire de Tristan et Yseut, pour lui substituer un amour souverain, volontaire et lucide.
Cette esthétique place bien Chrétien de Troyes dans la recherche de lucidité qui s'épanouit au XIIIe siècle, et contribue à l'installation d'une aristocratie courtoise, qu'elle soit ou non chevaleresque. D'où le fait que, pendant des siècles, ceux qui ambitionneront de faire partie de l'aristocratie adopteront les points de vue courtois.