Retour de lecture sur “Le collier rouge”, un court roman de Jean-Christophe Ruffin, paru en 2014. Ce livre inspiré d’un fait réel, et de la vie d’un membre de la famille d’un ami proche de l’auteur, raconte l’histoire d’un ancien poilu Jacques Morlaix, durant l’été 1919, qui attend, sous une chaleur écrasante, d’être jugé dans un bâtiment de Bourges transformé en prison militaire. Il est incarcéré pour s’être rendu coupable de dénigrement de la nation le jour de la fête nationale du 14 juillet. Son juge militaire: Hugues Lantier du Grez, ancien combattant comme lui, commence son enquête de manière très distante et froide, dans un huis-clos étouffant, d’une froideur imposée par le statut social et les convictions des deux protagonistes. Au fur et à mesure de leurs entretiens, on se rend compte que la guerre a profondément marqué et transformé ces deux personnes et peu à peu le juge, qui cherche à comprendre les motivations de l’accusé, assouplit fortement ses positions devant l'entêtement de l’accusé à assumer son geste, à défendre ses idées, ses valeurs et sa notion du patriotisme. On cherche à comprendre ce qu'a réellement fait ce valeureux soldat qui a défendu la Nation et maintenant la dénigre. Pour quelle raison en est-il là ? Qui est cette femme qui paraît si proche de lui et en même temps ne cherche pas vraiment à le défendre ? Et d'où vient ce chien, personnage à part entière de ce roman, qui aboie jours et nuits devant les murs de la prison ?... Une des thématiques principales et fil conducteur de ce livre est la fidélité, qu’on retrouve à différents niveaux dans ce roman. Il y a la fidélité amoureuse entre une femme et un homme, la fidélité inconditionnelle et à sens unique d’un animal envers son maître, et surtout la fidélité à un idéal politique et philosophique...et parallèlement à cela, il y a les idées de justice, d'humanité, des valeurs fortes, une dénonciation de l'horreur et de l'absurdité de la guerre qui sont également omniprésents. C’est un livre assez court mais néanmoins relativement dense. Dans cette atmosphère d’après-guerre pesante, accentuée par un soleil de plomb, la petite histoire se mêle à la grande et l’auteur arrive avec beaucoup de pudeur à nous captiver et à rendre attachants ses personnages. Morlac et Lantier se retrouvent dans cette situation à cause de la guerre, c’est le devoir et l'obéissance à un système stupide et mortifère qui les a amenés là, qui les positionne l’un contre l’autre comme des ennemis. En remettant en cause leurs principes et en mettant au premier plan leur humanité, ils finissent finalement, petit à petit, par se retrouver et à se comprendre. Ce livre est une leçon de sagesse, qui par une approche particulière, nous donne un regard assez original de la guerre et de ses conséquences. Comme l’a précisé l’auteur lui-même dans une de ses interviews, ce n'est pas un livre de l’après-guerre mais avant tout un livre qui parle du bilan de la guerre. Il interroge sur la notion de victoire, et après tant de souffrances et de millions de morts, pose la question si cette notion a encore un sens. A travers ce personnage qui dénigre ses décorations, et en évoquant les fraternisations et les mutineries de 1917, il passe surtout le message que la vraie victoire serait d'abord de ne pas faire la guerre. L’écriture est très simple, sans fioritures, avec des phrases courtes et des dialogues toujours très minutieusement dosés qui permettent de maintenir un rythme efficace et agréable dans ce récit. Le reproche principal qu’on pourrait faire à ce livre serait peut-être lié à la longueur de ce roman. L’idée et le sujet sont vraiment très bons, mais cela aurait mérité d’être développé bien plus en détail, le message prend trop le dessus, il aurait été intéressant de prendre beaucoup plus de temps et de donner encore plus de profondeur et de consistance à ses personnages, notamment les secondaires. Même si la forme est intéressante, tout cela me semble un peu trop vite expédié. Pour conclure, cela reste malgré tout un livre très intéressant, intelligent, avec un message de fraternité et d’humanité qu’on ne répétera jamais assez et une réflexion intéressante sur la guerre et la notion de devoir.
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“Lui aussi, à l’évidence, était marqué par la guerre. Quelque chose, dans sa voix, disait qu’il était désespérément sincère. Comme si la certitude de mourir bientôt, éprouvée jour après jour au front, avait fait fondre en lui toutes les coques de mensonge, toutes ces peaux tannées que la vie, les épreuves, la fréquentation des autres déposent sur la vérité chez les hommes ordinaires. Ils avaient cela en commun, tous les deux, cette fatigue qui ôte toute force et toute envie de dire et de penser des choses qui ne soient pas vraies.”