Mauvais choix
Voilà un livre qui, à défaut d’être nul, est complètement raté. Il contient certaines promesses qu'il ne tient pas du tout. C’est un roman qui est un étrange mélange d’uchronie et d’autobiographie...
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le 14 juil. 2021
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Voilà un livre qui, à défaut d’être nul, est complètement raté. Il contient certaines promesses qu'il ne tient pas du tout.
C’est un roman qui est un étrange mélange d’uchronie et d’autobiographie fictive, ce qui me semble être, sur le papier, quelque chose d’extrêmement intéressant. Roth raconte le destin de la famille Roth dans une Amérique fictive qui aurait élu un président républicain en 1940 (l’aviateur Lindbergh), qui s’avère soutenir le régime nazi en Europe (sous couvert d’un discours minimaliste et d’une campagne opportuniste).
La première maladresse de Roth est de baser son uchronie sur un thème qui n’est pas du tout pertinent de nos jours (à mon avis). Il prend le risque de renforcer des clichés sur une période déjà bien nourrie en images toutes faites, qui nous fascine par son pathos souvent exacerbé, avec son lot de bons et de méchants bien dessinés, et la tendance à en sortir un prêchi-prêcha qui nous évite de faire face aux contradictions humaines, d’explorer les méandres de la lâcheté et les difficultés de l’action. Au lieu d’éveiller politiquement, ce genre d’histoires peut tout à fait endormir les consciences (et nourrir la bonne conscience dont on a tous besoin).
Il y a des quantités de thèmes uchroniques (et de manière plus générale, de fictions politiques) qu’il serait extrêmement intéressant de traiter aujourd’hui, en les rapprochant un peu dans le temps, en inventant par exemple une élection qui soutiendrait un totalitarisme écologique, un régime islamique ou un revival hyper chrétien, une déferlante technologique de type transhumaniste… ou un totalitarisme sanitaire, sous couvert d’un gouvernement mondial que tout le monde approuve mollement, que sais-je encore.
Au lieu de cela, on a un livre écrit en 2006 sur la seconde guerre mondiale, sur le nazisme et l’antisémitisme, tout à fait propre à réveiller ce que Bertrand Meheust appelle la nostalgie de l’occupation et les fantasmes qui l’accompagnent, notamment celui qui nous persuade qu’il a existé une époque bénie de l’histoire où il y avait un camp du bien et un camp du mal bien définis et pendant laquelle, donc, s’engager était une chose assez « facile » (ce qui est évidemment faux, et cette chimère est régulièrement ranimée, faute d'idées, par les gens qui pensent que l’extrême droite est partout, que les nazis sont partout, que le monde entier est raciste). L’autre fantasme étant que l’histoire est une question d’information (je sais ce qu’il se passe, donc je sais comment réagir. Alors que les événements historiques se vivent au présent et ne peuvent jamais être correctement analysés). On juge facilement le passé, on se positionne, on se demande comment une telle horreur a pu arriver. Mais il est beaucoup difficile de faire preuve de courage au présent et de savoir correctement quelles décisions prendre (si tant est qu’on en prenne) ici et maintenant. Les réactions classiques de délation, de recherche de bouc émissaire, de volonté de bien faire en se faisant passer pour un bon citoyen modèle (« Moi, madame, je suis responsable »), sans remettre en question les décisions du pouvoir, sans apporter de nuances, sans chercher la ligne difficile de la lucidité et de l’humilité, sont apparues massivement durant la pandémie. C’est-à-dire des réactions tout à fait similaires à ce que l’on pouvait trouver pendant l’occupation, mais dans un contexte tout à fait différent. L’histoire ne nous permet malheureusement pas (ou disons presque pas) de nous préparer aux événements à venir.
Le pire c’est que Roth s’affale totalement dans le genre uchronique. Il décrit une parenthèse sans intérêt qui finit par se fermer sur une Amérique qui reprend son cours normal deux ans après le changement. Pearl Harbor arrive en 1943 au lieu de 1941. Roosevelt revient pour son troisième mandat avec seulement quelques mois de retard. C’est un peu étrange. On referme le livre en se demandant ce qu’il a bien voulu faire. On dirait qu’il a été rattrapé par son besoin de faire de l’autobiographie fictive, ce qui au fond l’intéresse beaucoup plus que le reste, et que la portée « politique » du roman, finalement bien timide, ne le concerne pas trop, ou pas assez pour soulever une véritable réflexion.
C’est un roman bien mené et bien propre sur lui. Roth n’est pas un écrivain bidon, loin de là. Je crois qu’il est simplement un peu trop timoré, trop habitué à un certain confort de réflexion. Il y a quelques tensions entre les personnages, mais rien de mirobolant à mes yeux, rien qui puisse soulever de véritables dilemmes moraux et politiques, rien qui puisse apporter une nuance dans les prises de positions ou dans les rapports quotidiens.
On peut tout à fait traiter de n’importe quel thème en littérature, mais sur une période aussi rebattue, dont la connaissance historique est parasitée par les images cinématographiques et les larmes qui coulent, il aurait fallu soulever des questions plus ardues et plus gênantes.
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le 14 juil. 2021
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