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A l'époque, si on m'avait dit que sortirait un livre sur Gérard de Suresnes, je ne l'aurais pas cru. L'annonce a été faite par l'auteur lui-même sur son compte X... le jour de sa sortie, et inutile de dire que je m'y suis jeté dessus, et lu dans la foulée, pour ce qui est un livre non seulement formidable, mais au fond d'une grande tristesse sur ce que fut la vie de Gérard Cousin.


Placé à la DDASS alors qu'il n'avait que cinq mois, en 1961, né d'un père qui ne le reconnaitra pas car il partira avant sa naissance, sa mère qui ne pouvait s'occuper de lui, on ne peut pas dire que Gérard soit né sous une bonne étoile. Son enfance va être une suite de galères, que le livre relate très bien, jusqu'à ce qu'il rencontre à la fin des années 1980 celle qui sera son épouse, avec qui il aura une fille, Roseline. Mais le fait qu'il soit porté sur la bouteille, ajouté à cela un accident de camion quand il était routier au début 1993, va être en quelque sorte le début des emmerdes dans lesquelles il ne s'en sortira jamais vraiment ; divorce, perte du droit de visite de sa fille, repli sur soi dans un logement social à Suresnes, il ne doit finalement son salut qu'à l'écriture de ses poèmes qu'il va lire un soir sur une certaine émission de Fun Radio en 1994, et qui va donner naissance de fil en aiguille aux fameux débats de Gérard.


Émission qu'on pourrait assimiler à un diner de cons cruel, s'en prenant à la fois sur son intimité, son hygiène de vie ainsi que sur son inculture, mais le mérite du livre est de remettre les pendules à l'heure concernant Gérard, que certains disaient qu'il était manipulé. Non seulement on apprend qu'il n'était pas dupe de ce qu'il subissait entre guillemets, mais il semblait également en tirer profit, notamment sa tendance à faire en gros ce qu'il veut, au risque de mettre plus d'une fois en péril les relations entre la direction de Fun Radio et Max, l'animateur star de l'époque qui le couvrait. Car le vrai souci de Gérard est qu'on voit qu'il aurait pu s'en sortir ; il avait eu une fiancée, Sandy, avait des propositions de travail, commençait à gagner de l'argent, mais à chaque fois, il semblait avoir le syndrome du saboteur où il fichait tout en l'air en buvant plus que de raison ou en menant de manière plus large une vie sans réelle envie de s'impliquer dans quoi que ce soit.


Je ne vais pas raconter le reste du livre, mais pour qui a connu l'époque des débats, et plus généralement écouté l'émission le Star System entre le milieu des années 1990 et le début de la décennie 2000, c'est une véritable madeleine de Proust où plus d'une fois, l'impression de vertige était là, car ça brassait beaucoup de souvenirs ; les rires, le fait d'écouter les débats à minuit alors que j'allais au lycée le lendemain ce qui valait des réveils difficiles, les gueulantes de Gérard, ce qu'on appellera la Dream Tize (Manu, Phildar, Reego)... Toute une époque. D'ailleurs, je suis toujours fan des débats (il y a en eu près de 200 sur des sujets aussi improbables que les slips jaunes, la sodomie ou encore le Mignénium, version Gérard du Millénium de l'an 2000 !), plus de vingt ans après. C'était une période liberté absolue, où les tabous étaient plus d'une fois brisés, parfois au second degré, parfois de manière méchante, mais c'était une émission prisée par plus d'une célébrité et le grand public, car tous hallucinaient sur ce type qui n'avait jamais fait de radio auparavant, mais qui menait son monde à la baguette à coup d'insultes. Il faut les écouter avec le contexte de l'époque pour le croire...


D'ailleurs, je pensais connaitre la vie de Gérard, car le bonhomme me touchait par sa détresse qu'il exprimait entre les lignes, notamment l'année 2002 qui verra la fin de ses débats à la suite d'un dérapage à l'antenne, mais l'auteur, Thibault Raisse, a fait une enquête extrêmement fouillée sur sa vie entière, où des personnes qui ont rencontré Gérard témoignent pour la première fois , avec des passages notamment incroyables où on apprend en quelque sorte qu'il a côtoyé son père dans les années 1980 sans qu'ils ne sachent qui ils étaient l'un pour l'autre, ainsi que sur la fin de sa vie à Montluçon où ça devient en quelque sorte pathétique, voire glauque. Jusqu'à ce qu'un cancer foudroyant se déclare et mette fin à sa vie le 06 Mai 2005 à l'âge de 43 ans. Soit mon âge au moment d'écrire cette critique...


Même si j'ai plutôt envie de me souvenir de Gérard pour les bons moments vécus grâce à ses débats ainsi qu'à ses interventions sur l'antenne de Fun où ses erreurs de français, ses approximations, ses gueulantes avec l'équipe ont fait ma joie, il ressort du livre une grande tristesse. Celle d'un homme qui a pu toucher les étoiles, mais qui a vécu en fin de compte quelque chose d'horrible, comme s'il était irrémédiablement attiré vers les abysses.

Boubakar
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le 7 sept. 2024

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