Je dois avouer que je prenais un grand risque en achetant ce livre, en ne plaçant ma confiance qu'à un maigre résumé. Une femme, qui raconte l'emprise d’un grand écrivain qui a chamboulé toute son adolescence, et sa vie; aujourd'hui, la libération de la parole des femmes n'étonne plus personne.
Mais lorsqu'on découvre au fur et à mesure les chapitres, et les différentes parties qui la composent, on se rend bien compte que ce témoignage va bien plus loin que le simple récit d'une jeune adolescente piégée par cet auteur à succès. Vanessa Springora évoque une époque où la libération sexuelle ne devait plus être un problème, que cela devait être normal qu'un homme de 50 ans couche avec une jeune fille de 13 ans. A travers son histoire, Vanessa décrit avec précision cette époque, où sa propre mère ne voyait pas le problème de coucher avec un quinquagénaire.
Cette oeuvre amène aussi le lecteur à s'interroger sur la distinction à faire entre l'auteur, et l'homme, question qui a fait grand bruit il y a quelques mois pour un certain "Roro": Il faut croire que l'artiste appartient à une case à part, qu'il est un être aux vertus supérieures auquel nous offrons un mandat de toute-puissance sans autre contrepartie que la production d'une oeuvre originale et subversive, une sorte d'aristocrate détenteur de privilèges exceptionnels devant lequel notre jugement, dans un état de sidération aveugle, doit s'effacer." (page 193).
Aujourd'hui, Vanessa Springora a réussi à cicatriser cette plaie qui se ravivait à chaque fois que « G »essayait de la contacter, en vain.
C'est pourquoi je donne la note de 9/10 à cette oeuvre, une sorte d'autobiographie, où Vanessa Springora dénonce avec courage et déterminisme cette époque insouciante, qui n'est pas si éloignée de la nôtre, où l'homme, l'artiste, prenait sans sourciller, le dessus sur des jeunes filles (ou jeunes hommes, dans le cas des déplacements de G. à Manille) perdues dans le tourbillon de l'adolescence.
Je finis ma critique en citant les raisons de l'auteur à nous avoir ouvert son coeur. "Pour me donner du courage, j'ai fini par m'accrocher à ces arguments: si je voulais étancher une bonne fois pour toute ma colère et me réapproprier ce chapitre de mon existence, écrire était sans doute le meilleur des remèdes. (...) Parce qu'écrire, c'était redevenir le sujet de ma propre histoire. Une histoire qui m'avait été confisquée depuis trop longtemps."