Japon, quelques années après la Seconde Guerre mondiale. En file indienne, un petit groupe d’ouvriers pénètre au cœur d’une vallée montagnarde encore préservée de toute intrusion de la modernité. Tapi en contrebas, le long d’un torrent, vivote paisiblement un petit hameau, composé de quelques habitations. Découvert tout récemment, le lieu fut jugé idéal par les ingénieurs d’une compagnie électrique pour y installer un barrage. Ce barrage, une fois complété, engloutirait le hameau et son étrange cimetière aux proportions incongrues.
Le narrateur, qui fait partie des ouvriers, est fasciné par cet endroit comme préservé de tout contact avec l’extérieur. Ne fut-il pas découvert par inadvertance lors de la guerre, alors qu’un groupe d’éclaireurs japonais recherchait un B29 américain s’étant crashé dans les environs ? Ses habitants sont mutiques, répondent à des lois tacites et évitent soigneusement tout rapport avec les ouvriers. Ceux-ci sont intrigués par le calme presque suspect de l’endroit, et s’inquiètent d’une ignorance qu’ils croient feinte par les habitants du hameau.
Le narrateur, lui, ne pense pas comme eux. Son expérience personnelle (que je ne vais pas révéler) lui fait apprécier toujours plus ce lieu qui résonne familièrement en lui. De jour en jour, son cœur s’apaise, son esprit se débarrasse des pensées noires qui l’habitent. Par effet de la nature, primaire et inviolée, mais aussi et surtout de ces petites silhouettes en contrebas, qui vaquent toute la journée à leurs modestes occupations, comme affranchies de toute crainte. À mesure que les travaux pour construire le barrage avancent, les diverses réactions des habitants du hameau étonnent, désarçonnent les ouvriers et leurs chefs. Le narrateur au contraire les trouve cohérentes, touchantes et réconfortantes.
Avec Le Convoi de l’eau, Akira Yoshimura construit une atmosphère à la fois lourde et idyllique au sein de cette nature sublime et changeante au fil des saisons. Un trou de verdure, inlassablement détrempé par de longues averses et régulièrement inondé d’une mystérieuse brume aux tonalités spectrales.
De son style précis et très évocateur surgit le tableau pur et reposant d’un lieu coupé du monde, avec lequel le narrateur se ressent fortuitement, presque malgré lui en symbiose. Comme si cet homme à la psychologie complexe et atypique trouvait dans cette communauté humaine arriérée la réminiscence d’une quiétude oubliée. Le suspense insoutenable qui se construit à mesure que le barrage s’érige contribue d’autant plus à faire de ce court roman un récit extrêmement marquant, un conte moderne dans lequel s’infiltre inexorablement une part de fantastique, délayée délicatement avec toute la grâce des grands écrivains.
Lu en français dans la traduction de Yutaka Makino.