L'écriture de Yourcenar, très classique (elle a été nommé à l'Académie Française qui n'est pas exactement un lieu de grande expérimentation littéraire, plutôt l'arrière garde de Charlemagne dans les Pyrénées pour filer une métaphore guerrière) la rend très apte au genre du roman historique, quelque peu méprisé.
Mais ce livre écrit en 1939, a une couleur étrange de contemporanéité. Ecrit en 1939, à une époque ou la guerre menace en Europe Occidentale, Yourcenar raconte ici l'histoire d'un Junker prussien, parti combattre les "Rouges" dans les terres baltes.
Le contexte n'est qu'un prétexte à l'élaboration d'une histoire d'amour (enfin si on peut appeler ça de l'amour) entre Sophie, fille d'un noble local, et le protagoniste, combattant dans l'armée blanche. Yourcenar prend quelques libertés avec la "vérité historique" notamment concernant l'apolitisme du protagoniste : comme le note Gerwarth que je conseille à tous ceux qui s'intéresse à la période trouble de l'après guerre, les corps francs (Freiekorps) étaient animé par un anti communisme farouche. Là ou Yourcenar réussit un tour de force majeur c'est que l'une des motivations du (anti) héros est qu'il combat parce qu'il n'a put combattre pendant la Première Guerre Mondiale, son père étant mort à Verdun ce qui ne semble pas l'affecter.
Car le héros est avant tout un cynique, un Junker méprisant envers les basses classes, et les femmes. Sa misogynie étant l'un de ses traits caractéristiques, il se détourne volontairement de Sophie malgré leurs amours grandissants préférant la "compagnie des hommes" (je cite approximativement).
Autre point intéressant : dans les récits de guerre, comme le notait en son temps Jean Norton Cru, on retrouve souvent des descriptions stéréotypés de batailles, des descriptions "gore" chez les pacifistes par exemple. Ici, rien de tout cela. Les atrocités commises par les Blancs, puis par les Rouges en représailles, ne sont que rarement décrites en détails.
Une seule exception :
La fin tragique de Sophie, qui est défiguré avant le coup de grâce.
Ce roman, certes mineure, dans l’œuvre de Yourcenar (si elle vous intéresse lisez plutôt *L’œuvre au noir*et les Mémoires d'Hadrien) m'a somme toutes plut, dans sa sobriété, et dans son absence de mise en scène de la guerre.
Addendum du 6 octobre : il faut noter tout de même une certaine naïveté ou ignorance de Yourcenar face à l'antisémitisme qui était largement partagé par les Blancs, et qui n'est mentionné qu'à quelques reprises, toujours dans l'idée de se "se mettre dans la tête" du protagoniste, qui jure ses grands dieux ne pas être antisémite mais parle volontiers d'usuriers juifs.