Dans une interview donnée en 1994, Donald Westlake s'était défini comme un auteur réaliste, à la différence du courant romantique - dont plusieurs de ses collègues font partie. À l'exaltation du sentiment, de la rêverie ou du fantastique, Westlake s'est choisi comme vocation de toujours ramener ses intrigues et personnages sur Terre.
Qu'il le fasse de manière comique (cf. la série Dortmunder, Adios Schéhérazade) ou incisive (cf. le cycle Parker), on sent un plaisir renouvelé à l'idée de confronter de purs personnages de fiction à la rudesse de la réalité. Le Couperet est peut-être celui qui est allé le plus loin en la matière, puisque même son protagoniste principal aurait tout à fait sa place dans un fait divers.
J'ai découvert avec joie l'admiration de Donald Westlake pour Jim Thompson, une autre icône du roman noir (à tendance bien sardonique) auquel il rendait un petit hommage dans Dégâts des Eaux. Mais ce one-shot est sûrement son œuvre la plus proche de son estimé camarade. Pessimiste et immoral, Le Couperet s'inscrit dans une veine désenchantée, livrant un constat amer sur un monde du travail où l'individualisme prime.
Burke Devore est un sociopathe certes, mais ce qui rend le malaise aussi puissant, c'est l'humanité que lui confère l'écriture (comme toujours chez Westlake, elle est magnifique). Attachant mais repoussant, le chômeur assassin devient le représentant des laissés-pour-compte par le capitalisme forcené et qui, au lieu de s'en éloigner, pousse le vice jusqu'à éliminer tout ce qui entrave sa route : concurrent, problèmes imprévus, droiture, justice.
Cruel, tragique et si pertinent.
Je reste cela dit un peu sur ma faim, car je trouve Le Couperet redondant dans son intrigue. Il manque d'un peu de rebondissements dans l'odyssée macabre de son protagoniste principal. J'ai trouvé ce roman trop sur la même ligne, de manière surprenante puisque son auteur a souvent brillé pour déstabiliser ses personnages phares. Ici, la narration n'offre jamais de sortie de route, bien que certains passages éprouvent avec brio. C'est dommage car dans cette veine, un Pottsville 1280 habitants (classique inaltérable de J. Thompson) relançait sans cesse l'histoire pour montrer l'étendue de noirceur habitant son salaud d'anti-héros.
Le roman de D. Westlake est une lecture tout à fait recommandable pour l'intelligence de son discours, et la force de sa plume (acérée). Mais il sera peut-être moins mémorable que certaines aventures déjà bien mordantes d'un certain Parker.