Le Cul de Judas par BibliOrnitho
Le narrateur est installé à une table dans un bar, en face d’une inconnue à laquelle il va se confier durant toute une nuit. Un long monologue au cours duquel la femme n’intervient pas une seule fois : l’homme s’épanche et s’imbibe d’alcool.
Très jeune médecin, il est envoyé en Angola par le gouvernement dictatorial de Salazar. En 1971, lorsqu’il débarque à Luanda, le Portugal est enlisé depuis une décennie dans une guerre sordide de décolonisation. Le narrateur découvre alors la chaleur tropicale, les ravages du paludisme, les bidonvilles, les prostituées et l’ennui qui tue presque autant de soldats que les combats eux-mêmes. Il est affecté à l’intérieur des terres, dans un trou pourri (l’adjectif revient fréquemment dans sa bouche) à défendre les mines de diamants de Malanje. Ce cul de Judas qui correspond à notre trou du cul du monde. Les blessés hurlent, les morts innombrables pourrissent sous le climat étouffant. Torpeur. Folie de la guerre.
Jeune marié et père d’une fillette née neuf mois après son départ pour l’Afrique, l’homme se montre incapable de vivre une existence conjugale en pointillés, aux grés de ses départs et retours du front. En manque d’amour, en manque de femme, il est obnubilé comme tous les autres militaires par ce triangle sombre niché à la jonction des cuisses féminines. Particulièrement par celui de Sofia, une noire du village dans lequel il est affecté.
Pour parachever le tableau, la P.I.D.E. (la police politique salazariste qui n’avait rien à envier à la Gestapo) surveille tout ce petit monde. De très près et avec la cordialité et les bonnes manières habituelles de ce genre d’organisation.
Une narration terrible d’une guerre insupportable. D’une guerre qui rend fou. Des militaires qui supplient leur médecin de leur trouver une maladie qui les renverra en Europe. Des trahisons. De l’ennemi tapi tout autour dans la brousse. De l’exécration de l’auteur pour la guerre. De sa remise en cause de la dictature portugaise. Des mines anti-personnelles qui déchirent les hommes. Des entrailles des soldats qu’il doit replacer à mains nues dans le ventre de leur propriétaire. De ceux qu’il doit recoudre sans anesthésie. Des cercueils en zinc.
Un texte très bien écrit mais que j’ai trouvé très éprouvant : de par la grande attention que demande le style recherché de l’auteur. Et de par les horreurs qu’Antonio Lobo Antunes décrit de façon très crue. Un livre qui m’a rappelé comme j’avais souffert à lire Céline : ce cul de judas que j’ai finalement achevé uniquement parce qu’il est bien plus court que le voyage au bout de la nuit.