Un bon moment que je l'avais dans mon viseur, celui-là. Et puis, il y avait toujours quelque chose qui me faisait hésiter, peut-être cette histoire de pirates qui me semblait déplacée dans une œuvre de S.F. Où alors ce titre bizarre. Quoiqu'il en soit, faisant fi de la montagne de préjugés qui m'empêchait d'en entreprendre la lecture, je me suis lancé et je dois avouer que je n'ai pas été déçu.
Bon, c'est ardu à lire. Non pas que l'écriture soit particulièrement tarabiscotée, mais simplement parce que les chapitres sont dans le désordre. Ils ne suivent pas chronologiquement, quoi. Normal, me direz-vous pour un bouquin dont la trame repose sur des distorsions temporelles. J'ai mis quelques chapitres avant de m'en apercevoir : j'étais pris au piège, c'était trop tard pour reprendre en lecture chronologique en utilisant la table des matières. A laquelle j'ai donc du systématiquement me reporter à chaque fois que j'entamais la lecture d'un des 25 chapitres, pour savoir si j'avais déjà lu ce qui s'était passé juste avant ou ce qui se passerait juste après. Et pour ne rien arranger, celle-ci est numérotée en chiffres romains. Pour autant, je suis persuadé d'avoir pris, peut-être à mon corps défendant, la bonne option : car c'est diaboliquement bien agencé et ça ne gâche pas la lecture, loin s'en faut. Ça permet au contraire de préserver jusque ce qu'il faut de mystère, pour mieux découvrir les révélations finales qui sont livrées en fin de bouquin.
Pour l'ambiance, c'est réussi également : l'univers des pirates et flibustiers, dans les Antilles et les Caraïbes au dix-septième siècle est rendu de manière classique, mais agréable : abordages, beuveries, complots et luttes entre puissance coloniales. On l'aura compris, cet univers bascule peu à peu dans la déraison la plus totale, à travers l'irruption d'objets et de personnages venant d'autres époques. L'ensemble devient franchement crépusculaire, d'autant que tout cela n'intervient pas précisément dans le cadre d'intentions les plus bienveillantes qui soient. Le tout est pimenté par une histoire d'amour tragique parce qu'impossible, révélée par petites touches au fil de ces chapitres désynchronisés et qui donc n'est pas envahissante au regard des autres pans de l'intrigue. Avec en filigrane (du moins c'est ce que j'ai voulu y voir) l'évocation de l'extermination des peuples natifs d'Amérique centrale et l'omniprésence pas forcément bénéfique des États-Unis dans cette zone du monde.
Enfin pour terminer, ce bouquin propose une excellente bande son, qui contribue à ce que l'ensemble suinte d'une mélancolie poignante, à travers quelques strophes de chansons qui introduisent chaque chapitre : complainte du partisan, the foggy dew, I'm the man you don't meet everyday, Suzanne, Waterboys, Johnny Cash, traditionnels irlandais et écossais, chants de marins divers et même Berthold Brecht. Un regret : personne ne s'est amusé à la compiler sur les canaux qui permettent d'écouter de la musique en ligne.