Du fond de sa prison et au bord de la mort, Duke, le narrateur, écrit fébrilement. Dans un dernier exutoire, il se hâte de jeter sur le papier la catastrophe qu’a été sa vie depuis le premier jour : une vie marquée par la violence, subie dès le plus jeune âge au sein de la cellule familiale, et qui ne s’est jamais éteinte, au-dehors, mais bientôt aussi, au-dedans de lui, comme par un inéluctable phénomène de vases communicants...


L’entrée dans ce livre ressemble à un uppercut. S’y succèdent des scènes choc, révélant une large fratrie traitée comme une portée d’animaux par des parents au paroxysme de la monstruosité. Séquestrés, dénutris et maltraités de toutes les manières possibles, les enfants sont des êtres sauvages, privés de langage et de développement mental, réduits à leurs instincts les plus primaires. Le narrateur nous fait vivre cette période de l’intérieur, alors qu’il nous la relate dans un langage fruste et sans ponctuation, caractérisé par une spontanéité naïve et sans fard, dans un tourbillon de sentiments qu’il tente d’ordonner et d’extérioriser. Le texte évolue ensuite vers l’impossibilité d’une vie sociale ordinaire pour l’enfant placé en famille d’accueil, puis pour l’adulte instable qu’il est devenu, sa quête d’une normalité impossible, sa fuite désespérée qui ne parvient pas à distancer un mal qui le poursuit et le pénètre, l’exposant à des crises de violence incontrôlable face à l’injustice.


La souffrance, la rage et la solitude de cet être, irrémédiablement relégué en marge de l’humanité par ses propres parents, frappent d’autant plus le lecteur qu’elles sont exprimées avec une sincérité et une impuissance confondantes. Duke évoque sa violence et ses fautes avec une absence de malignité et une ingénuité qui auréolent sa culpabilité d’innocence. Quelle est la part de la victime et du coupable chez cet homme torturé à qui la vie n’a laissé aucune chance ? Comment juger du bien et du mal quand viennent s’en mêler l’hérédité, l’éducation et l’incapacité collective à porter secours à un être martyrisé comme celui-là ? Quelles sont les limites de la responsabilité et des circonstances atténuantes ? A-t-on le droit de faire un mal pour un bien ? Enfin, la rédemption est-elle possible ?


En concluant par les interrogations mystiques de Duke en prison et par sa découverte, grâce à l’aumônier, des Confessions de Saint-Augustin, le texte achève de poser la question de la justice et du pardon. Constatant l’incapacité des hommes à combattre le mal inhérent à leur nature, n’est-ce pas Saint-Augustin qui les engagea à renoncer à leur justice, par trop manichéenne, et à régler leurs différents par le pardon, la grâce de Dieu seule pouvant les élever vers le bien ? Une réflexion qui en dit long sur les drames dont l’auteur a pu être témoin au cours de sa carrière de chroniqueur judiciaire, quand, de génération en génération, tant de victimes deviennent bourreaux à leur tour… Coup de coeur.


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le 3 mai 2021

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