Habituellement, je trouve toujours les romans écrit à la première personne assez raté, en particulier quand l'écriture se veut du langage oral. Il y avait 2 exceptions notables : Le petit Nicolas avec l'écriture de Goscinny qui fonctionne à merveille ; et surtout La vie devant soi de Romain Gary qui est une de mes œuvres littéraires préférés.
Je vais pouvoir à présent rajouter Le démon de la colline aux loups à ma liste des exceptions, car là aussi le langage se veut « orale », et le résultat est bluffant.
Dimitri Rouchon-Borie signe ici son premier roman. Il était jusqu'alors chroniqueur judiciaire et on sent bien que la fiction qu'il nous livre est pétrie d'histoires vraies, de personnage qu'il a du croiser, de situations qui sont venues l'impacter dans son boulot de journaliste venant remuer l'humain caché derrière.
Dans ce roman, on écoute ou bien on lit, ou plutôt on à accès au « parlement » de Duke, un homme en prison qui va nous livrer petit à petit la raison de sa présence ici, à travers un récit biographique alternant entre l’horreur absolue de son enfance, la terreur de son ouverture au monde puis son exploration d'une forme de liberté mais sans aucune boussole l’entraînant toujours plus en marge. L'écriture est donc plutôt parlé, très peu de ponctuation avec des phrases qui s’enchaînent, véritable logorrhée tachypsychie qui happent et entraînent à pas de course vers la fin de ce court roman. Le style marche car il n'est pas là pour se moquer. On vit, on voit, on ressent avec le narrateur. A aucun moment on ne ressent de la connivence avec l'auteur caché derrière qui nous donnerait envie de se moquer de Duke, de se sentir supérieur. On est à auteur de ce pauvre homme, qui essaye de nous expliquer comment il a essayé de lutter contre le Démon, démuni de toute arme sociale.
Pour qui a déjà côtoyé ces milieux de protection de l’enfance, on sent une grande finesse dans l'analyse qu'en a fait l'auteur et, même si ici on nous en livre le nectar le plus noir, l'analyse proposé semble assez juste. Au milieu de cette noirceur, quelques pépites qui semblent en contraste éblouissante, permettant au lecteur quelques rares bouffées d'air avant de retourner se frotter à ce long uppercut (environ 3h de lecture avec pas mal de pause pour digérer tout ça).
J'ai parfois eu du mal à rester accroché, sans pour autant ralentir ma lecture ou avoir envie de stopper. Juste une forme de nausées, à être trainé dans cette saleté et cette violence. Mais Duke m'avait prévenu :
Je vais écrire des choses sales et je voudrais que vous me pardonniez
même si lire c'est moins pire que subir on voudrait tous être
épargnés. J'ai tourné dans ma tête mon meilleur dictionnaire mais je
sais maintenant que ça ne se raconte pas joliment. Alors je vais le
dire comme ça a été et vous comprendrez.
Difficile de conseiller ce roman, mais si vous n'avez pas peur de prendre une grosse claque pleine de mélasse, lisez le. C'est un texte fin, subtil, très beau, presque poétique. Et parce que quand quelqu'un met ses tripes comme ça dans un 1er roman, en étant aussi bienveillant avec ses personnages, ça mérite pour moi l'effort de le lire et d'encourager ceux qui le peuvent de faire de même.