Si durant ces dix dernières années la saga vidéoludique The Witcher a occasionné d'innombrables nuits blanches dans les rangs des gamers, c'est l'œuvre du studio polonais CD PROJEKT Red. Mais pas que ! En effet, les talentueux développeurs de l'Est ne sont pas partis de rien pour donner vie aux aventures de Geralt de Riv, ils se sont appuyés sur le travail d'écriture d'Andrej Sapkowski à travers sa saga du Sorceleur. Et autant le dire immédiatement ; les deux œuvres sont complémentaires.
Pour celles et ceux qui comme moi commenceront cette saga littéraire de dark fantasy après avoir arpenté en long et en large les faubourgs de Wyzima, les champs de bataille de Temeria ou les environs de Novigrad, ils seront en terrain connu. Peut-être même un peu trop puisqu'ils connaîtront à l'avance le dénouement du 7e et dernier livre qui sert de point de départ scénaristique dans le 1er jeu. Qu'à cela ne tienne, le plaisir de découvrir un Geralt qui n'a pas encore rencontré Yennefer, Triss et autre Sac à Souris est bien réel. D'autant plus qu'avec le travail d'orfèvre de CD PROJEKT dans le cadre de l’appropriation de l'univers de Sapkowski, il est aisé de se représenter le Sorceleur à travers les traits de son avatar de pixels.
Mais quid des lecteurs qui ne seraient pas des joueurs ? Pour eux, l'appréhension de l'univers de The Witcher se fera en douceur car ils pourront profiter d'un découpage en nouvelles indépendantes. Ces dernières sont une entrée en matière idéale puisqu'elles permettent de s'imprégner par petites touches du monde imaginé par Sapkowski. Ainsi les chasseurs de Monstres néophytes en apprendront plus sur la profession du héros et la défiance qu'elle engendre chez autrui, ils prendront conscience que dans cet univers le racisme et la religion sont des fléaux quotidiens qui conduisent, dans le meilleur des cas, à la pendaison, mais surtout ils toucheront du doigt que dans la vie il y a rarement de la place pour le manichéisme.
Et quoi de mieux pour mettre cette composante en avant qu'une version revisitée à la sauce polonaise de contes célèbres comme Blanche Neige et les 7 nains ou La Belle au Bois Dormant ? Citons également l'intrigue de la Strige et celle Du dernier Vœu - nouvelle éponyme du présent roman - qui ne manqueront pas de titiller les souvenirs des gamers, et d'épaissir le background. C'est en cela que les romans et les jeux sont complémentaires ; ils se nourrissent l'un de l'autre et permettent de prolonger l'expérience The Witcher ! Mais est-ce suffisant pour faire de l'œuvre de Sapkowski un immanquable du genre Dark Fantasy ? A cette question, j'ai envie de répondre non...
J'ai conscience de ne pas pouvoir être objectif sur ce sujet. Comment le pourrais-je après avoir passé plusieurs centaines d'heures sur la trilogie vidéoludique ? Je suis immédiatement entré dans le livre car je suis totalement acquis à la cause de the Witcher dont je vais même jusqu'à considérer le 3e opus comme l'un des plus grands jeux vidéo de tous les temps. Mais lorsque j'essaie de me mettre à la place d'un néophyte, une pointe de scepticisme a tendance à poindre. Si les nouvelles permettent d’introduire la Saga, objectivement c'est loin d'être une lecture inoubliable...Plaisantes et divertissantes à n'en pas douter, elles manquent toutefois d'un peu de consistance, et surtout de relief.
Sans l'apport des jeux, il y a de grandes chances que le lore/background ne m'aurait pas emballé plus que ça; la faute en incombant probablement au découpage en nouvelles qui bride tout sentiment de continuité. D'autant plus que ces histoires indépendantes sont pour la plupart dépourvues de réels enjeux narratifs et ne rendent pas pleinement hommage aux scenarios denses et maîtrises qui ont propulsé la trilogie de CD PROJEKT Red au Panthéon videoludique.
Donc, finalement, que puis-je conclure de cette lecture ? Déjà que j'ai personnellement passé un bon moment en compagnie des premières aventures de Geralt de Riv ! Ensuite que ce premier opus laisse présager du meilleur pour les lecteurs ayant adoré les jeux. Enfin, que ça fait toujours plaisir de parcourir un univers de dark fantasy (qu'on sait être) maîtrisé. De ce fait, j'encourage vivement les joueurs de The Witcher à se plonger dans la saga de Sapkowski si l'univers leur manque ! Quant aux profanes, je ne peux que leur conseiller de foncer. Sur quoi ? Peu importe. J'aurais tendance à avancer que les jeux favorisent l'appropriation de l'univers plus que les livres mais au fond, dans un sens comme dans l'autre, le plus important c'est de tenter l'aventure et de découvrir l'un des personnages de fiction le plus badass de ces dernières années.