Voilà un très beau roman de l’écrivain et historien de la littérature, Milorad Pavic, présenté comme un roman-lexique… Ce roman en est-il vraiment un ? C’est du moins la structure romanesque la plus originale qui soit. La présentation encyclopédique dissimule une histoire, plusieurs histoires, évoluant autour de l’énigme historique du peuple khazar, un peuple méconnu d’Asie centrale.
Partant des rares éléments avérés sur ce peuple et les disséminant dans un entrelacs de légendes et de réflexions tout borgésien ; le royaume khazar rappelle constamment la Yougoslavie mais ne la représente jamais. En effet, le roman ayant été publié dans les dernières années d’existence de la Yougoslavie, les thèmes du livre sont similaires à la situation que vivait le pays à l’époque. La recherche des origines, du peuple historique, la reconnaissance des minorités ethniques et les tensions exacerbées amenant à la disparition du pays. Dans les deux cas, qu’il s’agisse de la politique titoïste de la Yougoslavie, ou bien la politique du pouvoir khazar dans ce roman, le déroulé des événements est similaire, une forme d’utopie cosmopolite semble impossible. C’est sûrement cette position proserbe qui a valu à l’auteur d’être traité avec ignorance alors que pourtant, son livre relève du génie pur et simple en matière de construction littéraire. On a là, un véritable roman babélique et protéiforme.


Pavic fait référence à Vuk Karadzic, qui introduit sans vergogne dans son dictionnaire serbe-latin-allemand, des contes, des récits, des poèmes, proverbes, etc. Le Dictionnaire Khazar nous en apprendra peu sur ce peuple dont on sait seulement qu’il vécut environ du VIe siècle au XIe siècle, dans une région située entre la Volga et la Crimée, qu’il fut décimé par le prince de Kiev, Sviatoslav, et disparut sans laisser de traces.


La première histoire est contruite à partir de ce fait, ou plutôt de cette absence de fait. L’ouvrage de Pavic serait la suite du dictionnaire khazar d’un certain Daubmannus, de 1691, dont ne resteraient que deux exemplaires ayant la faculté de provoquer la mort de ceux qui y touchent. Cette propriété de Daubmannus est exceptionnelle puisqu’elle est monolingue, alors que l’autre se composait de matériaux écrits en grec, en hébreu et en arabe. Par ailleurs, Une question se pose : les Khazars étaient-ils juifs, chrétiens ou musulmans ? D’où la composition de l’ouvrage en trois parties : livre rouge (où les Khazars sont chrétiens), livre vert (où ils sont musulmans) et livre jaune (où ils sont juifs).


La grande “polémique” khazare ne peut trouver de solution que dans l’esprit du lecteur, à qui appartient la réponse. Une petite note lui apportera quelque lumière, selon que son exemplaire se trouvera être masculin ou féminin.


Cette polémique se complique de deux développements romanesques non moints importants : le premier (au XVIIe siècle) concerne trois chasseurs de rêve, un juif, un chrétien et un musulman, qui écrivent leur propre version de l’énigme et meurent sur un champ de bataille sans jamais se rencontrer ; le second (1982) introduit dans l’oeuvre trois chercheurs contemporains, obsédés par le même mystère.


Tous ces récits regorgeants de détails fantastiques, de récits imaginaires, de rêves, de discussions métaphysiques, se croisent et s’enchevêtrent pour donner une oeuvre à facettes multiples à la magique à laquelle on échappe difficilement.

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le 17 nov. 2021

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