La fantasy à un sommet d'écriture, au service d'une puissante fable politique contemporaine.
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le 10 nov. 2011
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C'est avec une certaine appréhension que j'ai commencé ma lecture du Dragon Griaule. En effet, outre le sujet des dragons qui est un thème qui m'intéresse au plus haut point comme vous pouvez vous en douter, la couverture m'avait littéralement tapé dans l’œil. Hop, achat, triple dédicace, place de choix dans la PàL. Et du coup grosse pression. Je craignais que le bouquin ne soit pas à la hauteur de mes attentes, qu'il ne me plaise pas, que le style de l'auteur me donne envie de fuir en courant dans la direction opposée ou que sais-je d'autre qui aurait pu me faire regretter mon acquisition et devoir ranger ce superbe objet dans ma bibliothèque en sanglotant " t'es beau mais t'es nul".
Force est de constater que mes craintes étaient infondées : Le Dragon Griaule est un sans faute. L'écriture / la traduction sont parfaites, la narration prenante et très construite, explorant différentes facettes du dragon et de la population qui vit alentour. Des six textes présentés, je serais bien en peine d'en choisir un préféré, tellement chacun est original.
"Mais qui est donc ce fameux Griaule ? C'est un dragon gigantesque pétrifié il y a fort longtemps par un magicien qui tenta de le tuer. Mais Griaule n'est pas mort. Son corps ancré au milieu d'une vallée sud américaine fait partie du paysage à présent. Quant à son esprit, il distille son venin à la population établie alentours."
En 1853, dans un lointain pays du Sud, en un monde séparé du nôtre par la plus infime marge de possibilité, la vallée de Carbonales, une région fertile entourant la cité de Teocinte et réputée pour sa production d'argent, d'acajou et d'indigo, était placée sous la domination d'un dragon nommé Griaule. [L'homme qui peignit le Dragon Griaule]
Au travers de six récits, rassemblés dans un même recueil pour la première fois, Shepard nous conte la terrible influence de ce dragon fabuleux et effrayant qui n'a d'égal que sa taille impressionnante.
L'homme qui peignit Griaule. Vaste entreprise de peindre les écailles du dragon millénaire qui inflige sa néfaste influence sur les habitants, dans le but de le faire mourir à petit feu, empoisonné par les toxines de la peinture.
"Quoi que un peu là de s'émerveiller de tout, Méric ne put s'empêcher de tomber en arrêt devant l’œil. Large de soixante-dix pieds et haut de cinquante, il était protégé pas une membrane opaque et luisante, étrangement vierge d'algue et de lichens; derrière laquelle on devinait des masses de couleur. Alors que le soleil rougeoyant achevait de sombrer entre deux lointaines collines, cette membrane frémit puis s'ouvrit en son centre. Avec la lenteur cérémonieuse d'un rideau de théâtre, les deux moitiés s’écartèrent pour révéler la lumière de l'humeur aqueuse." [L'homme qui peignit le dragon Griaule]
La fille du chasseur d'écailles. Catherine a grandi en dormant tout contre les écailles du dragon. Suites à certains concours de circonstances malheureuses, elle se retrouve littéralement à l'intérieur du dragon. L'atmosphère de cette nouvelle est aussi moite et brûlante que les organes internes de la bête.
Le père des pierres. Un homme tue l'amant de sa fille, une espèce d'illuminé qui a créé un secte dont le culte tourne autour du dragon. L'histoire est racontée du point de vue de l'avocat du meurtrier. La ligne de défense de l'accusé est de mettre en cause le dragon qui, par son influence pernicieuse, l'a poussé à commettre ce crime.
La Maison du Menteur est une auberge qui porte ce nom car son propriétaire dit l'avoir construite avec du bois prélevé sur le dos du dragon. Ce que personne ne croit. Hota, qui a fuit sa ville d'origine après en avoir tué un dignitaire, vit dans cette auberge. Un jour, il rencontre une étrange femme sur le dos du dragon ...
Si vous n'avez pas lu le recueil : possibles spoilers dans les deux paragraphes suivants.
L'écaille de Taborin. George Taborin fait l'acquisition d'un morceau d'écaille de dragon, lors d'une de ses visites à Teocinte, ville limitrophe du monstre. Il rencontre la prostituée Sylvia à qui il promet l'écaille si elle lui consacre quelques semaines de bon temps. Un jour il frotte l'écaille et se retrouve en compagnie de Sylvia projeté dans une sorte de savane, semblant venue d'un autre temps.
"Nous l'avons toujours sous-estimé. En le débitant en pièces et en transportant celles-ci aux quatre coins du monde, nous avons fait exactement ce qu'il souhaitait. Désormais, il règne que la terre tout entière." [L'écaille de Taborin]
Le crâne. Griaule est mort et ses restes ont été dispersés aux quatre coins du monde ... Son crâne défie le temps et les hommes au milieu d'une jungle. Une communauté d'illuminés vit à ses alentours, guidé par une jeune fille qui semble agir sous l'influence du dragon.
"De toutes les choses que j'avais vues, le crâne était la première qui parût en mesure d'ébranler ma vision du monde. Sa taille et son apparence incroyable, les décorations barbares dont l'homme et la nature l'avaient orné au fil des siècles, ces graffiti de mousse et de lichen, ces enluminures de jade laiteux et d'onyx noir, ces crocs gainés de vert-de-gris, cette gueule recouverte d'arabesques fanées, appliquées par quelque tribu disparue depuis des lustres, tout cela éclairé par la lueur mouvante des torches ... à un instant donné, je croyais découvrir le visage grotesque d'un clown, un gigantesque masque de mardi gras en papier mâché, l'instant d'après je frémissais de terreur, persuadé qu'il allait s'animer et hurler." [Le crâne]
Le thème récurrent des nouvelles est l'influence qu'exerce le dragon sur les hommes. Suggérée dans la première nouvelle, elle monte crescendo au fil des cinq suivantes. La question est : ce que fait cet homme ou cette femme est-il dicté par sa propre volonté ou par celle du dragon ? Voilà une bien étrange - et passionnante -façon de métaphoriser le concept du libre examen.
Dans sa postface, Shepard parle de métaphore politique, en pensant en particulier à administration Reagan pour la première nouvelle. Cela m'a un peu échappé à la lecture, sauf dans la dernière nouvelle où l'on n'est plus dans la métaphore mais dans la réalité. Cela dit, au final, on parle bien de la même chose.
Parlant de la postface, elle est tout à fait éclairante sur la genèse du dragon dans l'esprit de l'auteur et de chacune des nouvelles. Shepard nous propose un travail assez personnel sur ce qu'il a mis dans ces textes, au fil des années. Et d'en venir à la conclusion :
"Je pense à présent que je n'en aurai jamais fini avec Griaule."
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le 5 déc. 2014
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