Après le final trépidant du tome précédent, ce troisième roman du cycle surprend par son rythme. En effet, s’il s’emballe dans la seconde moitié, la première se caractérise par une inertie inattendue.
Le final du tome 2 avait un tel impact sur les personnages impliqués et sur le sort du monde qu’on pouvait naturellement s’attendre à de grands chamboulements. Pourtant, comme à son habitude, Jordan semble vouloir poser sans empressement les bases du récit à venir.
L’action prend place quelques semaines après les évènements de la fin de La Grande Quête. Mal en point, Mat est conduit à Tar Valon par Egwene, Nynaeve et Elayne dans l’espoir de le soigner de sa destructive addiction à la dague maudite. A leur retour dans le fief des Aes Sedai, les trois élèves doivent non seulement assumer les conséquences de leurs actes passés, mais également traquer un ennemi particulièrement dangereux.
Pendant ce temps, Rand reste caché dans les montagnes, sur ordre de Moiraine qui tient bien à le tenir à l’écart des désordres qui bousculent le monde. Ayant enfin accepté sa destinée, Rand vit mal cet éloignement, tout comme d’apprendre que des hommes meurent en son nom alors qu’il est caché. C’est donc tout naturellement qu’il va décider de fausser compagnie à Moiraine, Lan et Perrin qui se jetteront à sa poursuite. Min sera chargée de se rendre à Tar Valon et disparaîtra du roman.
D’autres personnages importants apparaîtront toutefois, entre autres Faile et Aviendha, tandis que Thom refera une apparition. Lanfear marquera également par quelques apparitions.
Une bonne partie de ce petit monde finira par se retrouver, après de nombreuses péripéties, à Tear : lieu hautement symbolique puisque c’est précisément dans cette ville que le véritable Dragon Réincarné est censé se révéler au monde et être accepté comme tel par tous.
Si les fils de la trame mettent du temps à se rejoindre, il faut reconnaître que Robert Jordan maîtrise parfaitement son récit. Il réussit à faire en sorte que tout le monde se poursuive et se retrouve au même endroit, sans que ça paraisse trop exagéré comme ça pouvait être le cas à la fin du roman précédent.
En fin de lecture, une première réserve vient de la sensation que la fin a été un peu expédiée alors que l’auteur avait jusque là pris son temps.
Une autre surprise dans ce tome vient du fait que, s’il est le centre de toutes les attentions, voire même la personne la plus importante du monde et alors qu’il s’apprête à s’affirmer comme Dragon Réincarné, Rand n’est pas le personnage principal. En tout cas, son destin, le chemin qu’il va parcourir et son combat seront presque toujours vus à travers les yeux de ses amis et connaissances.
Ce choix s’avère toutefois payant puisque, pour la première fois depuis le début du cycle, certains personnages vont énormément gagner en épaisseur et particulièrement évoluer entre la première et la dernière page du roman. Mat et Perrin, notamment, vont enfin s’affirmer et donner une idée de leur potentiel.
De même, Egwene va commencer à arpenter le monde des rêves et affronter les dangers spécifiques à celui-ci. Elle sera le personnage féminin le plus développé du roman, ce qui peut frustrer tant elle se montre de plus en plus antipathique. Mais les évènements liés à l’arc scénaristique la concernant sont suffisamment captivants pour que le lecteur passe outre.
Les Aiels font enfin irruption dans le récit et par la grande porte. Jordan avait bien ménagé ses surprises et impose directement des personnalités et mentalités bien marquées.
Comme dans le tome précédent, Moiraine et Lan font un peu de la figuration. Ils ne servent réellement que pour certains combats ou apporter des éléments de connaissance du monde au moment opportun.
Certains Réprouvés font également une entrée remarquée dans le récit et promettent bien d’autres combats à mener une fois la dernière page tournée. A ce sujet, Jordan a fait le choix d’alourdir encore un peu plus son récit en introduisant certains personnages et fils d’intrigue qui ne seront développés que bien plus tard et ne trouveront donc pas de conclusion dans ce roman.
Si ce choix peut déranger, il faut bien reconnaître qu’il introduit une grosse dose de cohérence dans le cycle, en évitant que les futurs ennemis et/ou amis ne sortent de nulle part dans les prochains volumes. On aurait cependant apprécié qu’un point soit fait à leur sujet en fin de roman. A titre d’exemple, alors qu’il a l’occasion rêvée de le faire en présence d’Elayne, Mat ne fait aucune allusion au Réprouvé qui s’apprête à épouser sa mère, la reine Morgase…
Au final, c’est un roman assez dense qu’a proposé l’auteur, capital pour l’avancée de son scénario et pour l’évolution de certains personnages qui vont devenir emblématiques.
Reste toutefois que si sa lecture est souvent grisante, Le Dragon Réincarné peut aussi frustrer en donnant l’impression de rater l’envol du Dragon et de dérouler de trop nombreuses intrigues qui ne trouvent pas de conclusions.
Impossible toutefois de bouder son plaisir, tant le monde imaginé par Robert Jordan a encore gagné en épaisseur et en promesses.