Dans son essai fort bien écrit, Paul Lafargue nous enjoint à la paresse, ou plutôt au rejet du travail. Pour se convaincre du vil aspect du travail, il n'hésite pas à convoquer la haute philosophie de l'antiquité gréco-romaine, faisant remarquer que le travail relevait alors du devoir de l'esclave, du moins ne permettait-il pas de s'élever spirituellement, citant tantôt Platon, tantôt Xénophon comme puissants arguments d'autorité. Aussi pourrions-nous aisément contrer la volonté de diaboliser le travail par la célèbre formule du poète Juvénal : panem et circenses, traduisant que l'oisiveté portée aux nues participe de la destruction de la société ; l'absence de discipline ayant conduit, toutes choses égales par ailleurs, l'Empire romain d'Occident à sa chute.
Mais nul n'est besoin d'ouvrir les pages de l'histoire pour montrer que les préconisations du prosélyte collectiviste s'avèrent dangereuses, trois heures de travail par jour, eût-on fait plus démagogique pour séduire la bête populace. L'ouvrage de Lafargue est pourtant mené par une raison certaine, quoiqu'elle soit parfois défectueuse, ne tenant pas, comme c'est souvent le cas chez les professionnels du sentimentalisme, compte du contexte dans lequel la société s'inscrit. Ainsi reconnaitra-t-on facilement avec l'auteur que l'excès de travail nuit aux hommes comme aux entreprises mais rejettera-t-on dans le même temps la liberté supposée du peuple à ne pas travailler. En effet, le bourgeois Lafargue semble oublier que si la société se tue à la tâche, se rue à la moindre besogne, ce n'est pas tant par son habituation, son inclination au travail que par la paradoxale survie qu'il offre en retour à travers des valeurs matérielles.
Eût-on voulu que ce bienfaiteur nous définît ce qu'il entendait par capitalisme, pour démontrer toute l'étendue de son erreur. L'erreur vient effectivement des hommes, les systèmes dans leur absoluité sont parfaits, puissent-ils encore être l'objet de défaillances dans leur fin que l'erreur fût venue une fois de plus des hommes comme il en est par exemple du communisme. Définissez les termes, disait Locke de la bouche de Voltaire. En outre, il n'était point du ressort du capitalisme d'embarrasser toute la société de la surabondance matérielle par un esclavage social, la faute incombait d'abord aux gouvernements incapables, aux stériles démocraties et à tous les cercles d'intelligences galvaudées de n'avoir su restructurer concurremment à l'épanouissement de la doctrine capitaliste l'ensemble de la société.
Je relève enfin un étonnant paradoxe à la lecture de cet essai concernant le malthusianisme. Les thèses malthusiennes semblent abhorrées par M. Lafargue alors qu'il est évident qu'en limitant la démographie, en fixant des quotas de population, la société pourrait quantifier raisonnablement le travail à fournir et éviter la surexploitation inutile de la terre.
En résumé, ce texte excellemment rédigé, non content de répudier capitalisme et chrétienté par son propre endoctrinement marxiste (dont l'auteur est gendre du théoricien éponyme), se propose de critiquer absolument toutes les classes de la société, du stupide et grossier prolétaire au veule bourgeois, en passant par le profiteur juif et les intellectuels malpensants. Se perd-on dans cet excès de fiel ainsi que dans les exaltations fugitives du prosateur pour prouver la pauvreté idéologique du collectivisme. Aussi aurai-je tort de surnoter un essai si médiocrement pensé pourtant si brillamment écrit.