Paul Lafargue, dans "Le droit à la paresse", s’impose comme un penseur radical et surprenant par l’actualité des idées qu’il défend. Publié en 1880, son pamphlet résonne étrangement avec nos préoccupations modernes. Lafargue critique férocement la surproduction industrielle et la surconsommation effrénée qui en découle, dénonçant l’endettement, les crises économiques récurrentes et le chômage endémique qui gangrènent les sociétés capitalistes. Il pointe également les inégalités de revenus et l’oisiveté complaisante d’une bourgeoisie parasitaire, dilapidant ses rentes dans des produits de luxe absurdes, pendant que les prolétaires, eux, triment pour les produire.
Mais Lafargue ne s’arrête pas là. Il pourfend avec véhémence le culte du travail, qu’il considère comme une religion contre-nature imposée aux classes populaires, les enfermant dans une aliénation volontaire. À rebours de cette idéologie, il plaide pour des journées de travail réduites, le partage équitable des tâches et, plus audacieusement encore, le droit à la paresse comme condition essentielle d’une vie libre et épanouie. Selon lui, les progrès techniques devraient permettre de diminuer le temps de travail pour tous, plutôt que de condamner une partie des travailleurs à l’exclusion et les autres à l’épuisement. Débarrassé de son fantasme machiniste, cette approche pourrait s'inscrire dans une forme de décroissance ou de croissance alternative, permettant de faire face aux défis de la crise écologique. C'est en quelque sorte ce que propose Philippe Bihouix dans "L'âge des low tech", en invitant à réduire le rythme de travail, afin de diminuer la production et donc la consommation, la pollution et les émissions carbones qui vont avec. C'est in fine le programme de "Vers la sobriété heureuse" de Pierre Rabhi (dans une version plus conservatrice et empreinte de mysticisme).
Ce texte, à la fois pamphlétaire et utopiste, interpelle par son ton mordant et sa lucidité. Il invite à repenser non seulement notre rapport au travail, mais aussi nos modèles de production et de consommation, en prônant une révolution culturelle et sociale qui reste, aujourd’hui encore, une source d’inspiration. "Le droit à la paresse" n’est pas un simple plaidoyer pour l’oisiveté : c’est une réflexion audacieuse sur la condition humaine, le sens de la vie et les promesses non tenues de la modernité.