Le faux con est-il un vrai?

Pionnier du détective hard-boiled, immortalisé à l'écran par Humphrey Bogart, Sam Spade, création de Dashiell Hammett joue de ses muscles aussi bien que de sa cervelle. Sa méthode : emmerder ses adversaires et voir ce qu'il en ressort. Cela lui vaudra son lot d'ennuis, comme de juste, dont il se joue avec cynisme et décontraction. Car cynique, il l'est assurément, pour notre plus grand plaisir. S'il évolue si aisément dans les milieux interlopes, c'est que lui-même est un dur, et que question grand cœur, il faudra repasser. Honnête selon son code de l'honneur, peu respectueux en revanche de la loi, volontiers violent, Sam Spade fascine.

Opposé à lui, Gutman. Aussi énorme et avachi que l'autre est massif et sportif, aussi retors que Spade est franc en paroles, aussi bavard que l'autre est laconique. Préférant agir par intermédiaires alors que Sam Spade fonce bille en tête. Le jour et la nuit donc, sauf que Sam Spade, on ne peut pas vraiment dire que ce soit le jour. Gutman est un personnage fabuleux. Son exubérance opposée à l'intériorité de Spade donne des scènes cocasses au possible. Car l'humour, il faut en parler. Sam Spade n'en a que faire, mais Hammett ne le dédaigne pas. Gutman est un personnage foncièrement drôle, souvent plus sympathique que Spade, bien qu'on sente que ce n'est jamais qu'une surface. Au moins a-t-il une passion qui l'enthousiasme comme s'il était encore un gosse.

Et puis, il y a la trop belle Brigid, qui ment et joue en permanence. Est-elle, comme le pense la secrétaire de Sam Spade, une belle personne prise dans un jeu dangereux, qu'il faut protéger à tout prix? Ou est-elle la plus dangereuse des joueuses de la partie? Insaisissable, on ne saura définitivement qu'en penser au dénouement.

Car le dénouement doit arriver. On en doute parfois, tant l'intrigue n'est faite que de rebondissements permanents, au point que la fable du faucon maltais, centre supposé de l'intrigue, génial McGuffin, apporte presque un repos dans ce récit foisonnant. Pendant quelques pages, on est ailleurs, dans un roman pseudo-historique mettant en scène des chevaliers de Malte et un artefact maudit. Mais cette fameuse statuette aviaire, finalement, n'est que géographiquement au centre du récit, qui parle plutôt des tumultueux démêlés d'un détective privé face à une bande de malfrats.

Une légende était née.