Ce roman du japonais Yasushi Inoue est diaboliquement agencé. Pourtant, au premier abord, sa structure apparait relativement simple. Dans la plus parfaite indifférence, le narrateur a fait paraître un poème dans une revue. Des jours plus tard, alors qu’il redoute d’avoir provoqué la fureur des chasseurs en évoquant un des leurs avec un fusil, il reçoit par courrier une réaction à son poème. Celui qui lui écrit affirme se reconnaitre parfaitement dans le chasseur au fusil, alors que, bien entendu, le poète ne faisait qu’exploiter une impression fugitive pour laisser libre cours à son inspiration. Son mystérieux correspondant (désigné sous le nom de Josuke Misugi) a lui aussi ses impressions. A la lecture du poème, il a décidé que le poète est la seule personne à qui il peut communiquer 3 lettres personnelles, parce qu’il considère que celui-ci manifeste de l’intérêt pour sa personne. Les lettres en question sont trois confessions reçues de 3 femmes, à la même période semble-t-il.
Le corps de ce court roman (une petite centaine de pages) est donc constitué de ces 3 lettres adressées à Josuke Misugi, la première de Shoko, la seconde de Midori et la dernière de Saïko. Les 3 femmes ont joué un rôle important dans la vie de Josuke Misugi. Son but en envoyant ces 3 lettres au poète est de tenter de trouver quelqu’un qui le comprenne parfaitement. Bien entendu, tout cela ce sont des mots, mais la lecture des 3 lettres montre bien que, s’il peut espérer que quelqu’un le comprenne, le narrateur est un bon choix. Chacune renferme des secrets très personnels, des révélations sur les relations des personnes de son entourage proche. La première, de Shoko, évoque la disparition de la mère de celle-ci. A cette occasion, Shoko avait compris que sa mère lui avait menti pendant plus de 10 ans à propos de sa vie sentimentale. La seconde vient de la propre épouse de Josuke Misugi avec qui le mariage n’était plus qu’une sorte de mascarade depuis de nombreuses années. Enfin, la dernière vient de Saïko, la mère décédée de Shoko.
Les 3 lettres proviennent donc de 3 personnes se connaissant depuis longtemps, se côtoyant régulièrement et entretenant des relations étroites. Pourtant, en moins de 30 pages chacune, elles révèlent combien les apparences sont trompeuses. L’ordre de lecture apporte à chaque fois un nouvel éclairage qui permet de mieux comprendre les relations entre les différents personnages.
Peu lyrique, le style est plutôt chirurgical. Dans ces lettres, chaque rédactrice tente de s’exprimer pour clarifier la situation, mettre enfin les choses à plat, pour que certaines choses soient enfin dites. Ce qui n’empêche pas certaines digressions qui apportent des détails, donnent vie et épaisseur au récit, de la consistance aux personnages, ce qui est perçu de façon assez ironique puisqu’il est beaucoup question de la mort ici, celle de Saïko étant au centre du récit.
La (légère) déception, c’est que la troisième lettre, celle qui devrait conclure le livre sur le mode de la révélation ultime, bouleversante et inoubliable car posthume, se révèle presque dérisoire. La rédactrice tourne longtemps autour du pot, un peu comme si elle cherchait pathétiquement à retarder l’échéance (comme si dire ce qu’elle a sur le cœur la rendrait trop vulnérable, sa mort devenant inéluctable). Bref, la révélation finale manque un peu de force. On pourrait la résumer par un refrain de Daniel Balavoine, ce qui n’est pas honteux en soi, mais pas aussi exceptionnel qu’on pouvait espérer.