A l'ombre des jeunes filles mortes
Je m'étais promis depuis quelques années de lire « Le goût de l'immortalité » de Catherine Dufour car tout le monde en disait du bien. J'aime bien m'assurer de ces choses par moi-même et cette année j'ai eu la chance de rencontrer l'auteur qui m'a présenté un prolongement possible de ce roman qui vient de paraître en mars 2009 et qui se situe dans le même univers.
Cet univers c'est celui de la Chine de demain. Oups, je commets déjà une erreur. C'est celui de la chine de demain. En effet, on est, de prime abord, interpelé par une technique typographique particulière, comme une juste revanche littéraire sur le statut de ce monde. Dans ce futur, la nature est réduite à la portion congrue. Polluée, exploitée et quasiment en voie d'extinction, il convient de la mettre à l'honneur – tout posthume – en n'accordant les majuscules qu'aux seuls noms de plantes et d'animaux non modifiés génétiquement qui survivent encore dans quelques coins de cette planète en déclin.
L'homme, lui, se porte relativement bien. Certes, les monades urbaines qu'avait superbement décrites Robert Silverberg sont devenues une réalité. Les fièvres hémorragiques ont contraint une partie de l'humanité à monter dans les étages. Celle-là vit plutôt inconsciemment dans un régime dictatorial discret chapeauté par des organisations aux sigles hermétiques telles l'oise ou l'iat. Le reste de l'humanité urbaine survit dans la suburb, sous certains étages et dans les entrailles de la terre. Ces refugees, comme on les appelle, sont exposés à de nombreux maux dont un certain path qui n'a d'autre ambition que de conquérir les étages supérieurs maintenant qu'il va devenir le maître absolu de la suburb.
Dans ces étages, les castes ont un rôle certain mais ne semblent pas aussi importantes que cela pour le fonctionnement courant de la société. Nous y découvrons la narratrice qui nous présente d'abord sa mère. Cette dernière est une prostituée qui va commettre l'erreur d'exposer sa fillette à des polluants qui vont tuer nombre d'urbains. Mais la mystérieuse iasmitine vit à quelques appartements et va sauver l'enfant. Le prix à payer sera terrible car, en fait, elle meurt pour de bon et ne pourra continuer à exister qu'en tant que zombie. Les secrets de iasmitine sont bien pires que cela et nous le découvrirons plus tard dans le livre.
Après sa vie de créature d'outre-tombe, elle va évoquer la vie de cmatic qui va croiser son chemin. Il est entomologiste et, après une mission éprouvante dans le pacifique, se trouve envoyé en mission par l'oise afin de découvrir les secrets de iasmitine. Comment se passera la rencontre avec la sorcière ? Une des clés de ce roman se dissimule ici et je ne puis l'éventer.
La narratrice reprend ensuite avec l'histoire de cheng la musicienne de la suburb qui va conquérir les étages supérieurs malgré la surveillance active de la frontière séparant les deux mondes. Elle va, hélas, être également la contemporaine de path et de ses hordes. Cheng voudra donc fuir, mais comment faire quand on est seule et qu'une nouvelle souche virale tue la population de la suburb ?
Mais toutes ces histoires, hormis le fait que tous les protagonistes se connaissent, vont nous mener à un des secrets les mieux gardés de cet univers. Après avoir détruit la nature, c'est l'avenir de l'homme qui est engagé dans ce combat inégal.
Au-delà de la typographie déstabilisante du début de récit, ce sont des textes compacts qui ne connaîtront de réels dialogues qu'en fin de roman. L'ensemble est loin d'être lassant, bien au contraire. On a du mal à décrocher de cette lecture à 100 à l'heure. Certes, les termes utilisés, les néologismes, sont propres à effrayer les lecteurs les moins habitués à la science-fiction, mais cela reste à la portée de la majorité des lecteurs. Ce roman s'est vu attribué un nombre impressionnant de récompenses telles le Prix Rosny Aîné 2005 et le Grand Prix de l'Imaginaire 2007 et cela est parfaitement mérité. Catherine Dufour y fait la démonstration que la France reste une des grandes nations de la science-fiction car elle a su utiliser le genre et lui donner une dimension d'une rare densité. Un chef d'œuvre, à mon sens, qui est promis à devenir un des classiques du genre.
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