Entre l’essai philosophique de métaphysique et une histoire scientifique de la métaphysique

Métaphysique = branche de la philosophie qui étudie les choses en dehors de la réalité matérielle.
Une des grandes questions à laquelle la métaphysique cherche à répondre est la suivante : « Pourquoi y a t il quelque chose plutôt que rien ? » ou plus simplement « Quel sens donné à la vie ? ».

Ce livre est vraiment un mélange curieux des genres que je n’aurais jamais cru lire entre la philosophie et l’histoire.

Pour bien comprendre, il faut savoir que l’auteur, Johann Chapoutot est à la base un spécialiste de la perception des universitaires et intellectuels nazis de l’histoire. Donc Chapoutot est un historien qui a lu des historiens, des juristes et des philosophes nazis. Très proche d’eux professionnellement et sociologiquement de ces hommes monstrueux, son œuvre est non seulement une analyse rigoureuse du nazisme mais aussi une analyse de nous-mêmes, hommes et femmes du XXIème siècle à partir du nazism, car les hommes qu’il a étudié sans que cela ne le perturbe. Les nazis ne seraient qu’un reflet de nous-même, habitants du XXIème siècle. Chapoutot serait un reflet de Rheinhart Hohn et le nazisme un certain prisme de l’Occident.

Or cela a poussé Chapoutot à complètement se repenser lui-même et sa méthode, son approche de l’histoire.
Pour bien comprendre l’histoire de la philosophie pour les nazis, il a dû potasser l’histoire de la philosophie par lui-même : Platon, Kant, Nietzsche, etc… qu’il connaît donc bien. A cela s’ajoute des lectures sur la méthode de l’historien (Marc Bloch, Lucien Febre, Marion, Marrou, etc…). Enfin, on peut ajouter des lectures plus d’ordres journalistiques sur l’actualité.

En définitive, il développe son propre système métaphysique pour expliquer notre besoin de sens pour pouvoir exister. Il écrit une histoire des métaphysiques et crises métaphysiques qu’a connu l’Occident depuis 600-500 ans (La Réforme, la mort de Dieu, Auswitzt et la Bombe). Donc c’est de la science historique. Et il développe ses réflexions personnelles sur l’actualité.
Donc cette œuvre est une synthèse de 20ans de bouteille sur l’USS histoire universitaire française avec les moussaillons lectures personnelles à la barre.
Ce livre est donc à la fois :
- un essai de philosophie, de métaphysique
- une histoire scientifique de la métaphysique occidentale de la Renaissance italienne à 2021.
- un livre d’épistémologie des sciences humaines, notamment l’histoire.
- un essai sur l’actualité qui n’hésite pas à taper sur le point de vue subjectif assumé avec l’usage du -je (à côté d’analyse factuelle sourcée).
Chapoutot se fait donc historien, philosophe et essayiste. On ressent tout son être durant la lecture que ce soit ces analyses historiennes pertinentes et objectives ainsi que son mépris de classe subjectif plus ou moins assumé des complotistes (Bon les complotistes racontent n’importe quoi mais je ne crois pas que les mépriser comme il le fait servira à quoi que ce soit).

Personnellement, je lis Chapoutot depuis des années et j’attendais ce livre sans le savoir, car je sentais que tapie derrière l’historien se cachait un penseur contemporain très intéressant.

Pour ce qui est du propos, on peut le résumer ainsi :

  • Introduction : Texte philosophique où l’on croise plusieurs auteurs dont notamment Kant, Aristote et Schopenhauer pour démontrer que l’homme est un animal métaphysique. Donc on part du présupposé que l’homme est un animal métaphysique, un animal de récit, une espèce narratrice. Et donc il s’agit de savoir quelles ont été les thèses métaphysiques, les grands récits qui ont occupé et qui occupent la période de spécialité de l’auteur : la Modernité (XVéme siècle - aujourd’hui).
  • Chapitre 1 L’épuisement du providentialisme : L’Occident depuis la Renaissance est dans une crise métaphysique, car l’autorité religieuse du pape n’a plus le monopole du pouvoir symbolique qu’elle doit partager avec l’Etat et le protestantisme.
  • Chapitre 2 L’après guerre, fin de l’histoire, fin du récit ? : Après la mort de Dieu, on tente de remplacer la religion par des « religions politiques » incarné par un ou des États (nationalisme, wilsonisme ou idéal paix et de civilisation international).
  • Chapitre 3 Histoire et espoir. L’eschatologie du marxisme : Le marxisme a été une religion politique importante. Contrairement à ce qu’on croit, l’URSS ne s’est pas imposée toute seule après la 2nde Guerre Mondiale mais s’est appuyée sur une partie de la population des pays de l’est qui croyait sincèrement au marxisme comme religion, dont les prophètes Lénine ou Trotsky avaient de l’importance métaphysique pour eux.
  • Chapitre 4 Nazisme et fascisme : Ce sont des religions politiques qui ont tenté une transcendance par la race, la descendance et l’espoir en un empire de 1000 ans.
  • Chapitre 5 D’une voix blanche : Retour sur tout une génération d’intellectuels post-2nde Guerre Mondiale, post-Heidegger (Duras, Camus, Sartre, etc…), qui ont connu les grandes crises métaphysiques qui marquent la naissance de notre époque : l’époque post-moderne où l’homme doit définir son sens et sa liberté tout seul sans Dieu. La formule voix blanche sert à marquer le choc et l’absence de réponse face à l’échec des religions, l’échec des religions politiques et l’échec de l’homme à aller au-delà de l’absurde.
  • Chapitre 6 Raisons secrètes et causalité diabolique, le complot : Petite histoire du complotisme depuis la Révolution Française. Le complotisme est défini comme une tentative des perdants de l’Histoire qui ne comprennent pas ses changements comme les membres de la noblesse pour trouver une explication mono-causale absurde et purement émotionnelle, irrationnelle à un monde qui a changé et dont les changements leurs échappent.
  • Chapitre 7 failite des grands récits et désagrégation : Comme nous n’avons plus de grands récits qui nous porte ou de grands projets, le monde entier a l’impression d’être né trop tard dans un monde trop vieux. La conséquence est un sentiment de décrépitude aui paradoxalement est devenu le récit, la métaphysique de nombreux pays et politiciens. Zemmour et Erdogan seraient les mêmes faces d’une même pièce.
  • Chapitre 8 isthmes contemporains, illitisme ou obscrantisme : Illitisme = pensée des gagnants, des milliardaires de la Silicon Valley qui croît que toutes les ressources sont limitées et que cela n’est pas grave de tout gâcher ; car en revanche, l’intelligence humaine ne l’est pas. Elle serait illimitée. Donc on peut détruire la seule planète habitable pour exporter notre modèle économique sur Mars, un monde inahbitable. Obscurantisme = pensée des perdants manipulés par des gagnants. Chapoutot distingue alors la figure du menteur à celle du baratineur. Le menteur sait qu’il ment mais s’en fout. Le baratineur va plus loin. Il se fiche des faits, car tout ce qui l’intéresse est son propre intérêt, son propre nombril. La vérité, c’est ce qui lui plaît, ce qui l’arrange. Il enchaîne baratin sur baratin quitte à cumuler les incohérences. Certes, la qualité du récit est très pauvre. Mais, elle est simple, efficace et surtout, la demande en grand récit est très forte. Et dans sa connerie, il attire l’attention de tout ceux qui se laissent convaincre et ça fait Trump et le capitol. Sinon, il y a d’autres isme mais ils sont des dérivés moins importants : djihadisme, déclinisme et mesianisme.
  • Chapitre 9 Lire et vivre le temps : Alors, ce chapitre est le plus technique donc le plus dur à comprendre. Chapoutot agit en deux temps : d’abord en philosophe, puis en épistémologue et amoureux de l’histoire comme discipline scientifique (mais pas en historien, en scientifique. Il parle dans ce dernier chapitre en passionné, avec le coeur). Donc d’abord, il fait une théorie générale. De ce qu’il explique, l’homme se crée un sens et un récit tout seul qui lui vient en créant des choses, des oeuvres. L’homme donnerait un sens par lui-même dans sa pratique de la vie s’il a le sentiment qu’il laisse une trace sur le monde. Or cela devient de plus en plus impossible à l’heure du management et du néolibéralisme. Mais si les individus se crée un récit en créant des choses extérieures à eux, alors quel est le récit que se crée Chapoutot pour lui même ? C’est pourquoi il écrit ensuite en tant que passionné d’histoire mais aussi en épistémologue. En effet, les sciences humaines, la littérature et la philosophie selon lui servent à comprendre ce qu’on lit et ce qu’on nous communique surtout en histoire. Les humanités (formules un peu vieillotte qu’il utilise) notamment l’histoire servent à entrainer sa capacité à faire preuve d’empathie avec le sujet qu’on étudie, avec les gens qui ont écrit avant qu’on lise. Même si cela ne nous plaît pas, l’histoire scientifique nous pousse à entrer en empathie avec des personnages qui ont commis des choses qu’on peut juger horrible et quand même comprendre comme si c’était nous qui l’avions commis. Venant d’un historien du nazisme, ces idées sont très fortes. La métaphysique de Chapoutot, son récit à lui est d’avoir une passion pour restituer les récits des autres. A cela, il s’oppose (non pas totalement) aux démarches de Bloch, Marion ou Marrou, car il va beaucoup plus loin dans la dimension proprement humaine de l’histoire. L’homme est le seul animal doué du langage et aussi d’une mémoire aussi importante. Cela fait de lui l’animal du récit et de la métaphysique. C’est en créant des choses et donc des souvenirs que l’homme vit, se fait exister et se crée un récit pour donner un sens à sa vie.
  • Conclusion : Récapitulatif + discours critique du management et du néolibéralisme qui à force de tout comptabiliser rendent impossible la possibilité de créer, car ces dimensions de créativité leur échapperaient.
okaidac
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le 12 févr. 2024

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le 12 févr. 2024

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