Un téléphone arabe rouge

À défaut d'être un roman impressionnant sur le plan stylistique, Le Grand Secret est une clé de lecture fantaisiste expliquant les événements majeurs des années 50 à 70 ; voilà le vrai talent de René Barjaval : être capable de faire de son histoire fictive une réalité alternative plausible. Alors, ce grand secret, qui se partage chichement d'un chef d'État à l'autre, de Coty à Mao, devient le motif déterminant de plusieurs événements géopolitiques véritables, dont l'assassinat de Kennedy mentionné sur la quatrième de couverture. Et dans cette toile politique vastement étendue sont pris deux amants banals, Roland, non pas chevalier mais chercheur, et Jeanne, non pas pucelle mais passionnelle. Leur amour adultère est vite mis à l'épreuve, en fait anéanti par l'empire du secret ; il y a bien quelques soubresauts d'affection vers la fin du roman, mais les visions opposées que l'un et l'autre personnage entretiennent au sujet de l'existence ne permettent pas de croire en la solidité de leur couple. De toute façon, ce dernier est éteint tout à fait par le déchaînement de violence des dernières pages, d'abord piétiné par un bison fulminant, ensuite précipité dans du napalm. L'uchronie cesse ici, dans le sang d'une humanité jamais satisfaite mais capable, semble-t-il, de garder des secrets, et dans la quasi indifférence du lecteur, qui n'a pas eu le temps de pleurer.