C'est la voix d'une époque révolue qu'exhale ce livre. Une période qui n'a jamais su s'arrimer au Vieux Continent, sinon sur ses rives fictives et fantasques. Les lendemains de la Prohibition, Los Angeles nimbée dans un brouillard pesant remplacé en une nuit par une matinée éclatante où les pelouses et les buis semblent être nés dix minutes plus tôt.

A cette ambiance qui a été depuis parodiée, reprise et usée jusqu'à la trame par trois générations de polars, il faut ajouter un intérêt historique que le hors-série sur les romans policiers du Monde m'a appris (mais qui ne change rien à mon expérience de lecture car c'est un fait qui ne me touche pas : l'expérience sentimentale qu'un livre m'offre est totalement détachée - contrairement à ce que je ressens en mangeant - des a priori et des présupposés que je nourrissais envers eux) : Philippe Marlowe, le détective de Raymond Chandler est le premier détective privé au caractère patibulaire, rosse et gouailleur que la littérature policière ait connu.

Sinon, l'intrigue est assez classique, avec des embrouilles de bas étages à propos de boutiques porno, de filles perverses et de maîtres chanteurs. Les rebondissements sont éteints et la fin n'est pas absolument pas surprenante. Cela dégouterait n'importe quel fan de Mankell ou de Nesbo, mais ce serait à tort : un charme particulier se dégage du livre. Celui d'une époque où l'outrance ne se voulait pas outrancière, où il n'était point besoin de hurler, de rouler dix fois sur soi-même pour montrer une profonde douleur... Une époque où la pudeur et l'honneur avait encore une image concrète dans l'imaginaire collectif, où ces deux idées étaient une valeur en soi, et n'étaient pas seulement ce qu'elles sont devenues : des obstacles à surmonter pour faire naître un divertissement vulgaire (cf: films hollywoodien / romans pourris / séries télés)

Alors oui, je n'ai pas été happé par ce livre qui ne fonctionne pas comme la bonne petite machine policière classique s'emballant au fur et à mesure que les rebondissements savants s'enchaînent. Mais je lui suis reconnaissant d'avoir créé un lieu dans lequel je me sens vivre tout en lisant. Cet endroit, il devrait se trouver pas très loin d'un petit malfrat honnête qui meurt en avalant un verre qu'il sait empoisonner tout en ayant menti pour protéger une femme. Un anti James Bond en somme.
Ikkikuma
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le 17 juin 2014

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