Je me suis plongé dans Le Guépard à l'occasion d'un voyage en Sicile. Je pensais alors m'attaquer à une œuvre plaisante et gentiment désuète sur l'ancienne aristocratie sicilienne. Sans le savoir je me plongeais dans un véritable monument de la littérature, un chef d'œuvre à la résonance universelle.
Giuseppe Tomasi di Lampedusa nous relate les errances existentialistes et émotionnelles du Prince de Salina avec une plume affûtée et élégante. A travers les yeux de ce personnage principal, alter ego de papier de l'auteur, nous observons la décadence et la disparition d'une vieille aristocratie incapable d'interpréter et de comprendre les bouleversements qui secouent l'Italie. Le Prince de Salina, le Guépard, lui comprend bien. Cet aristocrate subtil et cultivé, qui maîtrise tous les codes de la haute-société et incarne à lui-seul la grandeur de son illustre famille, voit se déliter le monde de traditions dans lequel il a toujours vécu. Et parce qu'il comprend peut-être, il refuse de véritablement s'opposer à la nouvelle marche du monde.
Récit de la fin d'une époque, témoignage désillusionné d'un homme qui voit s'éteindre sa lignée, Le Guépard décrit avec mélancolie le faste décadent d'un grand bal à Palerme, relate avec cynisme la rencontre entre la vieille noblesse sicilienne et la nouvelle bourgeoisie républicaine, évoque avec malice les travers des uns et des autres : Princesses jalouses et déjà acariâtres, neveu fougueux et ambitieux, prêtre hypocrite et calculateur, épouse respectée sans être aimée, chien de compagnie envié pour son insouciance....
Le Guépard est à la fois une fresque historique ambitieuse, un témoignage riche et passionnant sur la Sicile rurale, une galerie de portraits au vitriol, mais c'est avant tout un roman foisonnant au style absolument délectable, où chaque métaphore et chaque description est un régal pour l'esprit. Une lecture qui se savoure lentement et avec délectation, comme un verre de Nero d'Avola sur une terrasse de Palerme ou de Catane.