Jacques Monod est un poète.
Connu principalement pour avoir mis en évidence l'existence et le rôle des ARNm dans l'expression de l'information génétique, il est également l'auteur de quelques autres travaux, dont ce bouquin.
Monod s'essaye ici à la "philosophie de la biologie", domaine hybride et assez peu développé.
Spécialisé dans la biochimie et l'étude du métabolisme, Monod va tenter dans ce bouquin de nous expliquer en quoi les êtres vivants sont proprement exceptionnels (sans pour autant les mettre sur un piédestal), tout en gardant, en toile de fond, un questionnement sur leur raison d'être, sans jamais tomber dans du théologisme ou du déterminisme de mauvais goût.
La première partie du bouquin est excellente, avec une brillante idée de Monod : se demander quels seraient les critères qui pemettraient de différencier les êtres vivants des objets inertes, pour un martien qui visiterait la Terre. À partir de cet exemple un peu farfelu, Monod arrive à dégager trois propriétés essentielles des êtres vivants : la téléonomie, la morphogénèse autonome et l'invariance reproductive.
Dans la partie suivante, somme toute assez brève (et un peu fouillis), il s'attache à la description et à un résumé des différents courants de pensée traitant de ces propriétés (en s'amusant à en réfuter beaucoup, au regard des connaissances tout émergentes en génétique à l'epoque), ainsi qu'à une tentative de conciliation des propriétés indentifiées avec les principes immuables de la thermodynamique. On sent ici que Monod maitrise mal le sujet (toutes proportions gardées), et on s'intéressera plus à la partie suivante.
Monod entre dans le vif du sujet en nous expliquant, du point de vue moléculaire et métabolique, les différents mécanismes biologiques impliqués dans la mise en œuvre de ces propriétés. Cette partie est passionnante et très bien rédigée (pour un sujet aussi casse-gueule), mais, contrairement à l'ambition affichée de Monod, elle reste, je pense, très difficile à aborder pour quelqu'un n'ayant pas un minimum de bagage scientifique.
Il est amusant de constater que les connaissances ont effectivement pas mal évolué depuis la rédaction de ce bouquin (Monod ignore le rôle des ARNt, ainsi que celui du troisième gène de l'opéron lactose, encore appelé "système lactose").
Après tout cela, Monod se remet dans un contexte plus philosophique, en essayant de tirer des conclusions sur la place de l'Homme dans l'univers, au regard de ce dont il vient de nous parler. On sera d'accord ou pas avec ses points de vue, mais il est indéniable que l'auteur maitrise aisément une certaine forme de poésie scientifique, qui rend le livre très agréable à lire, et laisse à réfléchir longtemps après l'avoir refermé.