Une référence à lire pour les incultes voulant briller facilement dans une société d'incultes

Ah le héros aux milles et un visages ! Quel plaisir de l'entendre citer ! Grâce à ce livre, je peux ainsi reconnaître directement les incultes qui aiment à parler culture et ainsi les fuir avant même d'être agacé par la conversation.
Cet ouvrage est presque la bible de la société contemporaine. Sans argumentation solide mais la simple exposition d'une fausse érudition de façade. Rappelons tout de même que l'érudition est un savoir 'approfondi' or si Joseph Campbell est certes un gros lecteurs, sa connaissance des textes et des mythes est superficielle. Pour établir le sérieux du personnage, on le décrit souvent comme un universitaire. Cependant il est tout de même bon de rappeler qu'il n'a jamais passé un doctorat, qu'un master n'est guère une référence et qu'il est la risée de tous les véritables spécialistes des études mythologiques, domaine dont on le prétend spécialiste.


Ce qu’il est véritablement intéressant de comprendre à propos de ce livre, c'est pour moi l'aura qu'il a acquis dans notre société. Cet "essai" a été popularisé par le monde du cinéma, il a inspiré l'écriture de scénarii d'œuvres cultes. Et les réalisateurs ainsi mus ont eu la délicatesse de le mentionner à leur entourage et au public, Brian de Palma a rappelé l'avoir eu comme enseignant et George Lucas s'en être inspiré pour la saga Star Wars. Une version résumée par un célèbre producteur, Vogler, eut un véritable impact sur la scénarisation de nombreux films de qualités variables mais contenant tout de même un certain nombre de grands films. Ainsi cette œuvre semble avoir eu un effet positif sur la création de chefs-d'œuvre, ce qui est louable, et est donc à mettre à son crédit. Je ne voudrais pas diaboliser ce livre et ne pas lui reconnaître ses mérites. Cependant ces dernières restent à relativiser. L'inspiration reste un souffle mystérieux que les grands créateurs et artistes trouvent dans des endroits variés. Ainsi la boue se transforme en or aux mains de certains.
Campbell a partagé, en prouvant une incompréhension fondamentale, sa culture notamment de la culture amérindienne comme les hippies et le mouvement new-age ont partagé le bouddhisme comme des touristes qui ont parlé deux semaines avec des autochtones et se sont pris pour des véritables spécialistes, ou comme des touristes ayant lu les bouquins écrits par les suites par les premiers.


Rappelons donc tout de même pourquoi cette œuvre, appréciée par tant de scénaristes qui surent à l'évidence l'utiliser à profit, est si pauvre intellectuellement, voire ridicule, aux yeux des mythologues.


C'est principalement un problème de méthode qui a trompé Campbell et les lecteurs. A partir d'une thèse simpliste qu'il résume d'ailleurs lui-même en une page, l'auteur va tenter de nous démontrer que celle-ci s'applique finalement à la plupart des incarnations de héros, et à toutes les plus célèbres et mythiques incarnations du héros. Cette méthode finalement empirique n'est pas totalement à rejeter, mais elle doit être maniée avec de nombreuses précautions, et ses conclusions doivent toujours être relativisées. Elles ne le sont guère, et le sont encore moins par les admirateurs de l'américain. Mais ce qui est surtout gênant, c'est l'absence de précautions. Ainsi, au lieu de véritablement éprouver sa théorie avec les textes par une étude approfondie et rigoureuse de ceux-ci, une étude érudite en somme, Campbell se contente souvent d'établir quelques analogies avec des résumés partiaux des mythes. C'est toujours une vision simpliste de l'œuvre, presque toujours une caricature des œuvres, et très souvent une déformation qui en oublie toutes ses subtilités tant structurelles que métaphysiques. S'il a lu de nombreux récits qui lui serviront d'exemples, ses lectures ont à l'évidence été superficielles et biaisées par ses propres attentes. Ils se contentent alors d'accumuler de prétendus exemples dont la plupart pourrait être contredits. D'ailleurs alors qu'il affirme une structure globale, il n'hésite pas à user d'exemples différents pour illustrer chaque étape. Les lecteurs aisément impressionnables y verront l'accumulation d'exemples, consolidant un raisonnement, alors qu'en réalité, une connaissance même superficielle des œuvres, démontre souvent l'invalidité du raisonnement car ces récits illustrent au mieux une unique étape et non la structure globale en contredisant d'autres étapes. La présence des nombreuses et régulièrement longues notes de bas-de-page impressionnera d'autant plus, par la multiplication d'exemples tout aussi douteux.


Ce qui est finalement assez scandaleux d'un point de vue intellectuel explique pourtant son succès. Ce livre fournit une clé de lecture compréhensible et accessible à tout le monde pour "analyser" toute œuvre scénaristique. Malheureusement pour cela, elle accomplit le contraire des enjeux de toute étude littéraire, elle appauvrit et déforme par la caricature des chefs-d'œuvre, alors qu'il s'agit au contraire de dévoiler toute la richesse de ces derniers et leur complexité. Le pouvoir de fascination de l'œuvre n'en est pas moins compréhensible. Qui n'a pas rêvé d'avoir accès à une compréhension de l'essence du monde dans sa totalité ? Mais l'érudition, malheureusement, nous apprend à la dure que, SI celle-ci existe, elle ne pourra en tout cas malheureusement pas être accessible par une structure simpliste.


Je n'ai pas préféré rentrer dans le détail dans ma critique car c'est, justement, le piège dans lequel tombe ce bouquin et une partie de ses lecteurs. Il accumule les détails pour nous faire perdre de vue les incessantes failles qui le constituent. Le critiquer en détail, reviendrait ainsi à critiquer de manière développée toutes les œuvres citées, démontrant ainsi l'invalidité de ses exemples.


De la même manière, j'ai mis de côté un aspect essentiel de l'œuvre, l'insertion constante d'analyses psychanalytiques anachroniques. Je me suis permis cet écart, qui peut sembler gênant étant donné l'importance de cette perspective dans l'essai, pour deux raisons. Premièrement, il serait bien trop long de les remettre en question car en réalité, il faudrait critiquer de manière développée les écueils de la psychanalyse (à ne pas confondre à la psychologie), et les monstruosités plus scandaleuses encore de la psychanalyse utilisée dans les analyses littéraires.
Deuxièmement, ce n'est pas cet aspect de l'œuvre qui fut repris par Vogler, et qui dont est tant repris en société. Je me permets juste d'énoncer une hypothèse sur cette absence puisqu'on pourrait juger étrange que la psychanalyse fut occultée par les scénaristes, héritiers de Campbell, alors qu'elle reste une religion très à la mode, notamment chez les incultes à qui elle fournit à nouveau des clés de lectures, certes sans intérêt, mais qui permettent de se passer de toute connaissance philosophique, théologique, littéraire et historique approfondie.
Pourquoi donc ? Dans les analyses de Campbell, c'est l'influence psychanalytique qui apporte une difficulté de lecture et nécessite parfois une certaine connaissance des théories, c'est peut-être d'ailleurs ce qui perdra de nombreux fans de l'oeuvre qui ne l'ont pourtant pas lue, quand ils se décideront à la lire. Ce qui plait principalement dans cette œuvre selon moi, c'est la simplicité qu'elle augure, or les analyses psychanalytiques caricaturales (pourtant la psychanalyse est déjà peu subtile de base) apporte du chaos dans cet essai perdant ainsi son principal atout, la simplicité harmonieuse du monomythe. Enfin, d'un point de vue pratique, c'est la thèse structurelle qui peut être réutilisée comme base d'un projet d'écriture et non pas le pan psychanalytique.


Je conclurai juste par une crainte. Si cette œuvre ne peut que nous éloigner d'une compréhension des œuvres qu'elle cite, elle est plus révélatrice des œuvres qu'elle a inspirées. Et, s'il faut certes du moins le reconnaître un impact positif sur le cinéma notamment, il me semble aussi nécessaire de s'inquiéter de ses effets à long terme. Le manque de profondeur et de richesse de cette œuvre ne peut fournir, selon moi, mais en cela je me trompe peut-être, une inspiration durable et riche. Je crains qu'ainsi, si elle a en partie pu aider à la naissance de chefs-d'œuvre, elle ne devienne en réalité une bride pour les créateurs à s'être ainsi placé comme un modèle presque imposé pour les œuvres de la pop-culture.

Vyty
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le 19 nov. 2020

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Vy Ty

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