Un survival horror balzacien dans la Provence de la Restauration.
C'est ce qui définit le mieux ce livre, à mon sens.
Le scénario suit pour l'essentiel Angelo, un bâtard noble garibaldien, pendant l'épidémie de choléra sous la Restauration. Angelo est un jeune chien fou qui adore se battre à l'épée, stendhalien, idéaliste, et bizarrement fragile quand il s'agit des femmes. Il s'arrête dans une auberge où il rencontre un ancien grognard devenu tenancier. Puis traverse un village occupé par des oiseaux qui dépouillent des cadavres. Puis tombe sur un petit médecin français qui lui apprend quelques gestes pour soulager les cholériques, mais qui meurt rapidement. Angelo fait ensuite route vers Manosque, alors que les routes sont coupées : chaque municipalité parque les voyageurs trouvés sur la route en quarantaine, des prisons parfaites pour se faire contaminer, à moins d'acheter une billette. Angelo entre par les jardins dans la ville, manque de se faire lyncher, se réfugie sur les toîts, descend et rencontre une jeune femme qui lui offre un repas, puis se réfugie dans un couvent et aide une bonne soeur à charger les cadavres sur des charrettes. Il part à la recherche de son frère de lait, Giuseppe, qui s'est réfugié sur une colline où s'est mise en place une sorte de commune, cernée par des bourgeois. Ils décident de se retrouver à Sainte-Colombe dans le Vaucluse. Angelo part en premier.
Mais le livre prend une nouvelle tournure quand Angelo retrouve sur le chemin la dame de Manosque. Arrêtés à un barrage routier, ils décident de passer en douce plus haut. Marchent sur un plateau désertique où ils rencontrent un marchand d'herbes qui leur indique un chemin. Sont pris par une troupe de cavaliers dont l'officier est mourant. Arrivent à s'échapper d'une chartreuse dans laquelle on les a enfermé en quarantaine. Rencontrent un barbus joueur de clarinette. Font étape dans un village détruit chez un médecin qui les entretient longuement de la condition humaine, tandis que les pluies torrentielles d'automne font rage dehors.
A quelques kms avant d'arriver dans la famille de la jeune femme, Pauline, qui s'avère être une noble, cette dernière tombe, atteinte d'une crise de choléra. Ce sera la seule personne qu'Angelo arrivera à sauver, à force de frictions, de pierres chaudes sous une couverture. Mais si Pauline semble profondément touchée par cet épisode intime, Angelo repart peu après, en bon écervelé.
"Colline" était le seul Giono que j'avais lu et je n'avais guère accroché à ce style étrange, qui me fait penser à un meuble en beau bois, que l'on aurait délibérément oublié d'ébarber. Mais "Le hussard sur le toît" est véritablement sublime. D'abord, c'est un western, qui repose sur l'errance d'un homme seul, puis d'un homme et d'une femme, en milieu hostile. Le grand nombre d'épisodes traumatisants (cet oiseau qui semble endormir Pauline de son babillage pour lui piquer le front, brrr...) ne devient jamais redondant, et les motifs sont amenés et développés de manière frappante : ces vomissures évoquant du riz au lait, cette odeur de rôtisseries qui entoure les bûchers de cadavres, le soleil blanc et indifférent, qui brûle tout sans discrimination, cette nature qui se retourne contre l'homme (oiseaux, rats, mais aussi... papillons). Que de bonnes idées. Le personnage de Pauline est également intéressant ; femme forte, c'est au moment où elle donne son nom, vers la fin, qu'ayant perdu son mystère elle cesse d'intéresser Angelo.
Le roman compte beaucoup de monologues intérieurs, principalement ceux d'Angelo (encore qu'au début, la focalisation, complètement non-académique, a quelque chose de troublant). Les descriptions, et notamment les nombreuses notations sur le climat, la nature, la fatigue, les pensées qui viennent en chemin trahissent la grande expérience de la randonnée pédestre de l'auteur.
Mis à part le monologue du médecin allumé à la fin, assez indigeste et quelques légères cassures de rythme, ce livre fourmille de belles idées, de fulgurances, de violences faites à la langue française (mais c'est pour son bien).