"Et même si c'est une invention, la réalité est toujours ce que perçoit la majorité"
Ce qui m'a plu, dans ce livre, c'est de me mettre à la place des passagers à qui s'adresse Salvador Fuensanta, le balayeur fantasque qui s'arrête de balayer pour raconter ses histoires - mais ne vous inquiétez pas, il fait son travail, s'il s'arrête de balayer deux minutes, les deux minutes suivantes il balaiera deux fois plus vite pour rattraper le temps perdu.
Salvador Fuensanta semble être un bon juge des caractères. Ou peut-être simplement qu'il se raccroche à des clichés qu'il imagine être vrais et ne se laisse pas contredire. Il y a des gens, comme ça, que l'on n'ose pas interrompre de peur de rater quelque chose. Car même si l'on n'y croit pas, on a envie de savoir ce qu'ils ont à nous dire. L'important, c'est l'histoire, le conteur. Pas la vérité. Il semble choisir ce qu'il raconte pour la personne à qui il le dit. Comme s'il savait que c'était cette histoire qui allait lui convenir. Ou peut-être que c'est juste un hasard, une association d'idées. Encore une fois, ce n'est pas important.
Il raconte des histoires invraisemblables, improbables. Des histoires pleines de poésie, des histoires qui nous amènent doucement à réfléchir sur des choses du quotidien auxquelles on ne pense jamais, des histoires qui critiquent discrètement les travers de l'être humain, aussi. Et à la fin qu'importe de savoir si elles sont vraies ou fausses, qu'importe de savoir s'il a vraiment connu les gens qui les ont vécues. A la fin, l'important, c'est ce que ces histoires nous apportent.
"On sous-estime parfois le pouvoir du langage. Une langue est un lieu d'où l'on comprend la réalité. Eduardo a créé une langue pour changer le monde et en faire un lieu plus libre et plus agréable. Pluie observait la réalité à travers les idées qu'il lui apprenait et ce qu'elle voyait était différent de ce que nous pouvons voir. A treize heures les Anglais parlent d'après-midi; les Espagnols de matinée. Les Esquimaux ont une douzaine de mots pour désigner la couleur blanche. Vous et moi, nous regardons la neige et y voyons un manteau blanc. Eux, un manteau multicolore. La réalité ne change-t-elle pas en fonction de la langue qui structure notre tête ?"