Autant Mirbeau excelle dans ses tirades contre la bourgeoisie, dans ses écrits politiques que l'on peut trouver çà et là, dans ses contes (dont je ne peux m'empêcher de faire de la pub pour un tout petit texte qui s'appelle le mur, d'un sombre et d'une mélancolie enrobée d'ironie mordante, si vous ne connaissez point, hop hop hop, en deux clics ça se trouve et ça prend 15 minutes à lire et c'est chouette), autant Le Jardin des supplices m'a un poil déçu, voir même ennuyé.


La première partie de l'ouvrage, pour peu que l'on apprécie la verve d'Octave, se lit toute seule ; on y retrouve nos camarades bourgeois et politiciens magouillant ordinairement comme magouillent bourgeois et politiciens. On est en terrain connu et les mêmes sensations nous reviennent à chaque fois : c'est drôle et triste parce qu'on se dit que ça fait quand même des millénaires qu'ils fourbent et que nous nous laissons fourber sans jacter et que finalement, en écrivant sur ces Jean-Foutre, on est sûr de taper sur de l'intemporel.



On y entrait, d’ailleurs, dans ce salon choisi, comme à la foire, et jamais je n’ai vu — moi qui en ai tant vu — plus étrange mêlée sociale et plus ridicule mascarade mondaine. Déclassés de la politique, du journalisme, du cosmopolitisme, des cercles, du monde, des théâtres, et les femmes à l’avenant, elle accueillait tout, et tout y faisait nombre. Personne n’était dupe de cette mystification, mais chacun se trouvait intéressé, afin de s’exalter soi-même, d’exalter un milieu notoirement ignominieux, où beaucoup d’entre nous tiraient non seulement des ressources peu avouables, mais encore leur unique raison d’être dans la vie.



Bref, c'est de toute beauté, ça vend du rêve et si tu veux, je te fais commentaire composé en faisant un parallèle avec les réseaux sociaux où il est de bon ton de s’entre-sucer mais sachons raison garder, n'anachronisons point, et ne dix verges on pas.


Vient ensuite la seconde partie où le narrateur s'en va avec les deniers publics faire le zouave en Inde mais séduit par une donzelle du doux nom de Clara, se fourvoie et arrive en Chine. Et c'est là où, pour moi, l'ouvrage m'a un peu perdu. Clara entraîne notre narrateur dans un jardin où se mélange les fleurs et la mort, où l'on supplicie des chinois dans les pivoines. À partir de là une structure en quatre temps s'impose : 1) description d'une torture, 2) le narrateur dit que ça le dégoûte, 3) Clara lui répond qu'il la fait chier avec ses haut-le-cœur, 4) quelle jolie tulipe que voilà. Et pour être honnête, les fleurs et les jardins, je m'en fous. Je préfère les sapins, les cailloux, les champignons et une herbe verte bien taillée sans ces plantes pleines de pollen ignoble. Combien de pages sont bouffées par cette structure ? Une bonne centaine, ce qui est relativement long si les opuntias charnus ou les œnothères blancs ne vous fascine pas. Evidemment, la comparaison avec Sade s'impose. Mais ce dernier a le mérite de nous parler davantage de cul que de renoncules. De fait, j'étais bien content d'arriver à la fin de cet ouvrage où les tortures se suivent et se ressemblent et finissent par se perdre l'une dans l'autre.


Je grossis le trait évidemment, la seconde partie ne parle pas que de jardinage fort heureusement et on retrouve des thèmes intéressants comme cette fascination pour la mort et le macabre, la violence, la souffrance, la colonisation (entre autres) que Mirbeau traite habilement ; d'autres critiques ici ont déjà évoqués tous ces aspects, je ne m'y attarderai donc pas spécialement. Je relève toutefois que, même si les descriptions funestes n'atteignent pas, selon moi, la divine horreur du Marquis, certaines évocations de cette pestilence ambiante font mouche, à l'instar de celle ci-dessous dont on ne peut que louer l'image forte que l'auteur grave dans la caboche de son lecteur.



Au sortir de l’enfer, encore tout blême de la terreur de ces faces de damnés, les narines encore toutes remplies de cette odeur de pourriture et de mort, les oreilles vibrant encore aux hurlements de la torture, le spectacle de ce jardin me fut une détente subite, après avoir été comme une exaltation inconsciente, comme une irréelle ascension de tout mon être vers les éblouissements d’un pays de rêve… Avec délices, j’aspirai, à pleines gorgées, l’air nouveau que tant de fins et mols arômes imprégnaient… C’était l’indicible joie du réveil, après l’oppressant cauchemar… Je savourai cette ineffable impression de délivrance de quelqu’un, enterré vivant dans un épouvantable ossuaire, et qui vient d’en soulever la pierre et de renaître, au soleil, avec sa chair intacte, ses organes libres, son âme toute neuve…



Et je dois bien, comme dernier aveu, parler de Clara. Si elle correspond peu ou prou à l'archétype (voir même au stéréotype) de la femme fatale, archétype dont je ne suis guère friand, Mirbeau sait lui donner un petit charme avec cet air ingénu et frivole et sa manière assez particulière de converser qui ne m'a pas déplu. J'ignorais avoir un petit faible pour les british à ombrelle mais soit, le fait est accepté.


Bref, même si ce contraste entre le jardin et les supplices ne m'a pas emballé plus que de raisons, et que le tout m'a semblé bien moins digeste que d'autres textes d'Octave, j'ai quand même trouvé par-ci par-là de quoi me contenter et je pense que l'on a tout de même à faire à une œuvre relativement forte et marquante ; les images déployées tout au long de la seconde partie, malgré ce que j'ai pu en dire, et tous les contrastes qui les accompagnent ont quand même su faire travailler mon imagination de belle mais horrible manière.

Ji_Hem_
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le 13 juil. 2020

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