Premier livre de Dostoïevski que j'ouvre. On me dit qu'il s'agit du plus accessible, de la meilleure porte d'entrée à son style. Si cela s'avère véridique, son œuvre est faite pour mes yeux.
"II n’y a rien de plus absurde que la morale dans un moment pareil!
Oh! les gens contents d’eux! Avec quelle vaniteuse suffisance ces
bavards sont prêts à prononcer leurs sentences! S’ils savaient combien
je suis conscient de l’abomination de ma situation présente, ils ne
trouveraient plus de mots pour me faire la leçon. Et que peuvent-ils
me dire de nouveau que je ne sache déjà ?"
LE JOUEUR se trouve être une formidable étude de personnage. Peut-être n'est-ce pas là le but de son auteur, mais j'ai été happé par ce Alexeï Ivanovitch. Loin des stéréotypes, Ivanovitch se comporte comme bon lui semble. Enfin, c'est ce qu'il croit. Il ne cessera pourtant d'agir sous l'emprise d'un désir fou d'être aimé par Pauline et celle d'une addiction naissante. Les deux le feront tournoyer dans les tumultes de l'âme humaine, là où tout se mêle et donne parfois le chaos. Ainsi, il s'enfoncera dans cette vertigineuse chute tout en gardant cette joie espiègle de la fierté, celle d'être celui qu'il est, peu importe l'avis général. Et malgré ce visage optimiste et pourfendeur du malheur, il aura en fond de lui-même la certitude d'être un échec. Et même si cette fin laisse espérer le meilleur pour ce délicieux personnage, caustique et humain, on ne peut que se résigner qu'à le juger. Etonnant, il s'agit précisément du monde dans lequel se trouve Ivanovitch, celui où tout le monde se juge. Nous nous retrouvons donc transporter comme tous ces satellites dégageant leurs mauvaises ondes autour d'Ivanovitch.
"J'ai l'impression que, jusqu'à ce jour, Pauline m'a regardé comme
cette impératrice de l'antiquité qui s'est déshabillée devant son
esclave, ne le considérant pas comme un homme."
En effet, dans ce travail minutieux d'étude de cas, Dostoïevski aura l'intelligence de nous immerger dans la pensée de son personnage s'interrogeant sur le monde environnant, jugeant les autres sans vouloir être jugé. Nous sommes absorbé dans cette spirale où le jeu de l'amour et l'amour du jeu seront la perte d'un homme se croyant plus fort qu'il n'est. Il est intéressant de voir comment se personnage se connait si bien et sombre malgré tout dans ses travers. Alexeï en devient donc profondément empathique de par sa sincérité désarmante et son imperfection si humaine. Le récit à la première personne renforce tout à fait ce point et permet une très forte identification. Frustré, hystérique, triste, malade, confiant, désinvolte, peureux, libre mais prisionnier… bref, Alexeï Ivanovitch est plein de contradiction et il en est parfaitement conscient. De ce fait, il en devient complexe. Un homme capable de prendre du recul pour tomber dans un trou plus profond encore. Passionnant.
"A ce moment, j'aurais dû quitter la table de jeu, mais une sensation
étrange a pris naissance en moi : une envie de provoquer le destin, de
lui donner une chiquenaude, de lui tirer la langue. "
Ce beau personnage se confrontera à diverses épreuves. Des épreuves qu'il aura d'ailleurs lui-même favorisé, voulant tenter le destin. "Le destin existe-t-il ?" se demande peut-être Ivanovitch. Ses faits et gestes ainsi que ses paroles peuvent traduire un homme en plein rejet de cette notion. Il veut être le seul protagoniste de sa vie en allant là où cela le chante, possédant à chaque fois le choix. Par ce moyen Dostoïevski lutte contre la désillusion que peut être la foi en un destin tout tracé. Les revers d'Alexeï ne sont qu'un moyen de forger son être, l'aiguiser ou bien s'émousser. A tenter, on se loupe parfois. L'auteur aura donc su disséquer avec soin un personnage passionnant. Bien que le récit souffre d'un léger passage à vide en début de dernière partie, il n'en reste pas moins un plaisir de lecture, tantôt drôle, tantôt mélancolique. Bien qu'à la fin de notre lecture, on en vient à juger Ivanovitch, il serait ridicule de ne pas reconnaître tout qu'il a su nous apporter. A suivre le parcours de ce personnage obstiné, capable de voir sa fortune là où pourtant se trouve la détresse, on en ressort avec le désir vif de prendre sa vie en main non pas pour réussir tout ce que nous entreprenons mais pour braver la vie avec le désir de bâtir sa propre destinée.
Une très belle découverte qui donne envie de lire les plus grandes œuvres de son auteur.