Critique littéraire de Schachnovelle par un Hypokhâgneux.
Le joueur d’échecs (Schachnovelle) est la dernière nouvelle de Stefan Zweig (1881 – 1942) publiée en 1943, quelques temps après que l’auteur s'est suicidé, abattu par l’affirmation du nazisme et du fascisme en Europe.
Sur un paquebot joignant New-York à Buenos-Aires, le narrateur assiste à une partie d’échecs entre Mirko Czentovic, jeune champion du monde, dont le génie n’a d’égal que la prétention, et une demi-douzaine d’amateurs s’efforçant conjointement de vaincre la légende.
C’est alors que s’ajoute au reste de l’équipe le Docteur M.B, exilé autrichien, qui parvient avec aisance à mettre en doute le champion, au point même de le vaincre !
Mais ce parfait inconnu, dont le talent laisse pantois ses coéquipiers, prétend ne pas avoir joué une seule partie d’échecs depuis plus de vingt ans.
C’est suite à cette rencontre inattendue que M.B dévoile au narrateur, dans une analepse longue de plus du tiers de l’œuvre, son arrestation par la Gestapo, ses conditions de détention, les tortures psychologiques qui lui ont été infligées, et surtout comment les échecs lui ont permis de résister à cet enfer, cependant jusqu’à le plonger dans la folie du jeu…
N’espérez pas, en vérité, trouver ici un récit sur les échecs. Zweig y transpose sa vision de l’isolement, de l’enfermement, et la névrose (qu’il ressent personnellement à partir des années 1930) dans cette représentation du plus grand jeu de société au monde. C’est là, précisément, que réside toute la richesse et la grandeur de l’œuvre.
Les échecs ; ou le miroir de l’esprit humain.
Zweig nous invite à prendre la place du captif, à ressentir son quotidien, à goûter à cette perversion lente et progressive qui le mènera à s’affronter face à lui-même, face à la folie !
Zweig écrit vite. On a le sentiment que son style découle directement de sa nervosité (« Un livre… un LIVRE ! ») ; c’est aussi ça, lire Schachnovelle, s’enfoncer dans les sinuosités d’une écriture convulsive, à la limite du respirable ! On halète, on mouille le papier de ses doigts fiévreux, on tourne les pages comme on déplacerait un fou sur un damier.
La fin de l’œuvre n’est que le reflet du sort qui attend l’auteur : « Puissent mes amis voir encore l’aube après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux. ». Ainsi s’exprimait Zweig dans sa lettre d’adieu. « C’est dommage, aurait dit Czentovic, car pour un dilettante, ce monsieur est en vérité remarquablement doué. »