Une trame narrative incohérente et un style un peu lourd

Juste sorti de la lecture de son brillant Le quatrième mur, retrouver la prose et la sensibilité de Sorj Chalandon dans son dernier ouvrage très apprécié semblait un bon moyen de prolonger le charme. Grosse déception! Autre univers et approche différente dans le thème, à laquelle je pourrais être sensible, proche des terrils et de l'histoire ouvrière du Nord (et du sud de la Belgique), les corons et les charbonnages ne m'ont pourtant pas transporté comme Antigone voyageant au Liban. Question de goût probablement, question de style définitivement.


Expliquer une attente déçue me demandera de dévoiler trop d'intrigues à celui ou celle qui ne les connait pas, ce que je vais faire dans les paragraphes suivants.


Au niveau du récit, l'idée de base était probablement brillante. Le journaliste aguerri à la plume sait faire parler son expérience pour romancer la réalité: une guerre, un massacre ou ici une catastrophe minière. C'est un fait incontestable. Se baser sur le drame de Liévin de 1974 était l'occasion de revenir sur la condition ouvrière de cette région (encore) meurtrie par la houille, par les cadences infernales et la misère de son prolétariat. Elle tient dans son livre la place centrale, elle est exploitée au maximum sans détours et sans nuances. Mais le sujet ne se suffit pas à lui-même et la manière de l'aborder sans entrer dans le convenu est un exercice difficile, ce qui a rendu - à mon avis - la trame narrative prévisible et incohérente. Prévisible car il est couru d'avance que le narrateur se ment à lui-même, les ficelles sont bien trop grosses, la folie du personnage semble évidente. Combien d'indices fallait-il disséminer dans la narration pour ne pas comprendre, bien avant le procès, que Joseph n'existait pas, en tout cas pas le souvenir que Michel s'en faisait? En bout de livre, le procès censé être central dans le récit en devenait lourd et cousu de fil blanc avec en point d'orgue un réquisitoire et un plaidoyer brassant du vent, des clichés éculés et un faux suspense, la seule surprise venant d'une grâce de la victime qui, malgré le martelage de l'identité ouvrière de "nous les gens du Nord" bien réductrice, n'apporte rien d'autre qu'un peu plus de superficialité qui survole les bons sentiments sans chercher à toucher la raison et expliquer le sens profond d'un geste grave. Incohérente ensuite car le personnage de Michel est difficile à suivre dans son raisonnement et ses contradictions permanentes. Il met son meurtre en scène, se livre immédiatement à la justice mais sombre dans le silence quand il a les moyens d'expliquer son geste et de profiter d'une tribune pour cela? Il expédie le deuil de sa femme comme une opportunité pour s'y raccrocher en bout de course pour des raisons qui n'apportent pas grand-chose à l'intrigue? Il navigue entre deux identités sans explication, entre le regret et la conviction avec une telle facilité qu'elle en devient suspecte? La justice le pensait fou et il y avait de quoi plaider la schizophrénie, ce qui aurait donné beaucoup plus de sens à son attitude, ses raisonnements sans fondement et ses contradictions. Mais non, le psychiatre de la prison le répète à l'usure: Michel est normal. Au lecteur d'accepter qu'un délire profond et quasiment hallucinatoire ne soit que l'oeuvre d'un "mensonge d'orgueil". Pour ma part j'ai eu beaucoup de mal de considérer cette option avec beaucoup de crédibilité.


Enfin le style d'écriture est d'une telle lourdeur qu'il en plombe le récit. Chalandon aime les figures de style, je m'en étais rendu compte. Mais à force d'abuser de l'énumération toutes les deux pages, l'effet devient lassant voire clairement pénible dans le dernier chapitre. Les dialogues sont d'une pauvreté confondante et ne servent qu'à rajouter des longueurs à une narration qui n'en manque pas.

BenoitBarbibul
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le 10 déc. 2018

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Benoit Barbibul

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