Initialement publié en 1934 sous forme de feuilleton, traduit par Rose-Marie Makino-Fayolle pour les éditions Philippe Picquier en 1993, ce roman rocambolesque et virevoltant d’Edogawa Ranpo peut constituer une belle introduction à l’œuvre de celui qui est considéré comme le fondateur de la littérature policière au Japon et qui, entre policier, horreur et fantastique, entraîne le lecteur dans les ténèbres de l’âme humaine, sondant la violence de la passion et des obsessions, du pouvoir, de la manipulation et de la soumission.
Après avoir commis un double meurtre, le jeune Amamiya Junichi accepte sous la contrainte de se mettre sous la protection de Mme Midorikawa et de changer d’identité, afin d’échapper à la police.
Qui est Mme Midorikawa ? Celle que l’on appelle L’Ange ou le Lézard noir, danseuse provocante au tatouage de lézard, se révèle être une cambrioleuse de talent, une version obsessionnelle et perverse d’Arsène Lupin, prête à tout pour compléter sa collection de bijoux et pour se convaincre qu’elle est insurpassable dans le crime et la mystification. Manipulant le jeune Junichi subjugué, elle le soumet à ses volontés sexuelles et criminelles.
«Junchan, tu es mort, n’est-ce pas ? Tu sais ce que cela signifie ? Et bien, c’est comme si je t’avais offert une nouvelle vie. Alors, tu ne peux plus te soustraire à mes ordres.»
Le plan du Lézard noir est d’enlever la fille d’un grand joaillier, M. Iwase, pour l’échanger contre le plus beau diamant du Japon que possède son père. Averti du risque par la criminelle elle-même, M. Iwase s’est adjoint les services d’un détective privé au talent reconnu : créé par Edogawa Ranpo en 1925, Akechi Kogorô est le premier personnage récurrent de détective privé présent dans la fiction japonaise, certainement inspiré par Auguste Dupin et par Sherlock Holmes.
À l’idée d’affronter cet adversaire redoutable, qui va utiliser ses propres armes de la manipulation et du travestissement, le Lézard noir est exaltée par la lutte à venir, plongée dans une excitation proche de l’euphorie.
Adapté au théâtre par Yukio Mishima, et au cinéma par Kinji Fukasaku en 1968, ce récit aux rebondissements incessants s’avère moins cruel que d’autres romans de l’auteur, ne s’aventurant pas dans le territoire de l’horreur comme le terrifiant «La bête aveugle», mais il révèle la fascination pour l’illusion, les transformations corporelles, les transgressions sexuelles et aussi l’humour d’un l’auteur qui n’hésite pas à recourir à la métafiction comme ici pour renforcer les effets voyeuristes et souligner sa passion de la logique, en créant des échos avec ses propres œuvres.
«Sur le bras gauche de la belle jeune femme, un lézard noir ondulait. Il semblait ramper, les ventouses de ses pattes avançant au rythme de ses muscles. Tout en donnant l’impression qu’il allait se déplacer de son bras vers l’épaule, puis vers le cou, pour arriver enfin jusqu’aux lèvres humides et rouges, il restait indéfiniment sur place. C’était un tatouage d’une vraisemblance saisissante.»
Une soirée consacrée à l’œuvre d’Edogawa Ranpo aura lieu le 17 septembre 2015 à la librairie Charybde à Paris (www.charybde.fr), à l’occasion de la parution en français du «Démon de l’île solitaire», en compagnie de sa traductrice Miyako Slocombe et de Stéphane du Mesnildot, écrivain, critique aux Cahiers du cinéma et grand lecteur d’Edogawa Ranpo.
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