Joseph Kessel a écrit ce roman à la suite d'une mission ou d'un reportage au Kenya au cours desquels il avait écrit "la piste fauve" qui est aussi un roman mais fait davantage effet de documentaire et dont on retrouve dans "le lion" de nombreux caractères concernant les fauves, les Massaï, les parcs, etc ... Un peu comme si Kessel avait son stock de matière brute pour en extraire un petit joyau.
Mais "le lion" est vraiment un ouvrage à part ciblant l'histoire sur une petite fille de dix ans, Patricia, née et élevée dans un parc royal au Kenya au pied du Kilimandjaro qui s'est tellement bien acclimatée qu'elle entretient une relation profondément intime avec les animaux en général et un lion en particulier, King.
Ce lion lui avait été confié alors qu'il était bébé et presque mourant, abandonné par sa mère. Patricia est en quelque sorte sa mère adoptive. Au moment du roman, le lion est devenu adulte et a été relâché dans la nature et "possède" deux lionnes et de nombreux lionceaux ...
Le narrateur est dans le roman un témoin de passage dans le parc et qui se trouve fasciné par cette petite fille qui vit dans un monde réel bien sûr mais en décalage complet avec la société dont elle est censée venir. Et le narrateur, pris comme une espèce d'arbitre extérieur donc "neutre", se retrouve au centre d'un trio composé du père (le patron du parc, ancien chasseur de fauves rangé et désormais chargé de la protection de la faune sauvage), la mère (Sybil qui est terrifiée par le parc et l'avenir de sa fille) et Patricia.
Kessel, comme très souvent dans ses romans, emploie une écriture fluide et imagée et transmet au lecteur ses propres fascinations et interrogations sur cette vie étrange, à la fois hors du temps et dans notre temps.
Le lecteur ressent un dépaysement total et finit par se demander comment tout ça peut finir raisonnablement si tant est que la raison ait quelque chose à faire ici.
En effet, le roman pose une équation sans solution, la quadrature du cercle.
D'un côté, un jeune Massaï Orienga demande en mariage Patricia, d'un autre côté, Orienga, selon le rite ancestral de son peuple, doit affronter (et tuer !) King, devenu adulte et qui conserve toujours une relation de subordination totale à Patricia.
D'un côté, le père qui donnera la préférence à l'homme plutôt qu'à la bête dans ce combat, de l'autre côté, la mère qui veut désespérément éloigner sa fille de ce monde sauvage dont elle sent que sa fille est sur le point de sombrer irrémédiablement dans une vie sauvage.
Dans l'expectative, le lecteur qui, comme le narrateur, se refuse à prendre parti, attend avec fièvre le dénouement de cette fable où s'opposent la vie sauvage et la civilisation, l'enfant et les adultes.
Ce roman de Kessel a justement rencontré un grand succès.