D’abord considéré comme un breuvage aux vertus médicinales, puis bu dans le même récipient par un groupe de moines, pour les Japonais le thé est devenu l’objet d’une sorte de culte à caractère non religieux même si on le prépare et le déguste suivant une cérémonie qu’on pourrait qualifier de rituel.
Ce livre relativement court (164 pages avec la préface et la postface, sinon 111) décrit les éléments fondamentaux de cette cérémonie telle que la tradition la perpétue depuis le XVè siècle. Tout ceci fait l’objet essentiellement du deuxième chapitre. Mais le livre ne se contente pas de cela et ceux qui attendraient d’autres développements plutôt que des considérations annexes risquent une petite déception.
Tout d’abord, il faut savoir que l’auteur, Okakura Kakuzô (1862-1913), n’était pas un fervent pratiquant du cha-no-yu, soit la voie de thé comme il la nomme. Ce qui ne l’empêchait pas de la connaître suffisamment bien pour en parler de manière passionnante. Il faut également savoir que l’auteur (Japonais) a rédigé son livre en anglais, car son objectif était de faire connaître tout un pan de culture japonaise à un public occidental qui n’y comprenait rien. Ayant étudié l’anglais dès l’université, puis ayant longtemps travaillé avec des occidentaux, l’auteur était en position de transmettre ses connaissances sur la voie de thé tout en évoquant bien des points tournant autour.
Dans son premier chapitre, l'auteur dresse un historique de la découverte du thé (venu de Chine) et de ses diverses préparations.
Le deuxième chapitre s’intéresse à la façon dont le thé est préparé puis dégusté selon la voie du thé. Il fait un inventaire complet (du moins pour un néophyte), de tous les points auxquels les participants se réfèrent pour que la règle soit respectée. Ceci dit, il n’existe pas à ma connaissance de règle écrite fondamentale. En effet, la voie de thé est un état d’esprit, une sorte de recherche de la perfection en suivant les quatre notions citées dans mon titre (je n’invente rien, Sen Soshitsu XV en fait une base de sa postface). Il n’y a donc pas UNE méthode absolue avec une sorte de mode d’emploi à respecter à la lettre. C’est plutôt un ensemble à mettre en place selon la vision de chacun pour faire en sorte que «… un petit nombre d’amis se réunissent et passent quelques heures à partager un repas et à boire du thé, goûtant ainsi un bref instant de répit au milieu d’une vie quotidienne trépidante. Les invités, après avoir traversé un petit jardin composé d’arbres et de buissons, pénètrent dans l’espace paisible et intime de la chambre de thé, abrité de toute lumière vive. Dans l’alcôve d’honneur, un rouleau est suspendu, qu’orne le plus souvent une parole zen calligraphiée. Quelques fleurs sont sobrement disposées dans un vase. Hôte et convives se rassemblent au sein de cette atmosphère sereine, évoquant celle d’une hutte isolée, et tout en accomplissant les activités les plus ordinaires de la vie quotidienne, communient les uns avec les autres, mais aussi avec chaque détail de leur environnement, sur un mode direct et immédiat, dans la saveur de l’instant. » (Sen Soshitsu XV, préface de 1989).
Les chapitres s’intitulent, successivement :
- La coupe de l'humanité
- Tao et zen
- La chambre de thé
- Le sens de l’art
- Les fleurs
- Les maîtres de thé
Okakura y aborde des notions qui lui tiennent à cœur, notamment philosophiques, qu’il agrémente régulièrement d’histoires en forme de légendes ou de faits historiques (en rapport avec des personnalités très influentes telles que Lao-Tseu, Confucius ou Rikyu). Le plus intéressant pour quelqu’un de pas trop versé dans les subtilités à caractère religieux se situe dans le cinquième chapitre où l’auteur donne son avis sur ce qui différencie la conception de l’art pour les orientaux et les occidentaux. Et il rappelle que la voie du thé est un choix de vie destiné aux idéalistes. Mais d’autres choix restent possibles, ainsi la voie des fleurs (ikebana).
Et puis, Okakura balaie la notion de recherche de la perfection avec des arguments convaincants en avançant par exemple que la symétrie n’est pas un idéal absolu. Un objet non symétrique apporte un besoin, celui d’être complété ou utilisé pour prendre tout son intérêt. De même, il considère qu’une œuvre d’art prend toute sa valeur si la personne qui la contemple réussit en quelque sorte à y trouver sa place parce que l’œuvre éveille des vibrations en lui. De même, l’auteur rappelle que la vie est un mouvement incessant, que tout évolue constamment. A ses yeux d’oriental, la mort n’est pas une fin mais un passage.
L’ensemble est parfois un peu difficile à admettre pour un esprit occidental, mais si agréablement tourné (d’où l’intérêt de la rédaction originale en anglais) que le lecteur assimile l’essentiel tout en appréciant le style de l’auteur ainsi que sa personnalité qui transparaît par sa façon de présenter ce qui l’intéresse.