The Magus est un bon exemple de roman doté d'un “âge de consommation limite” passé lequel sa valeur d'usage décline (en ce qui me concerne, je pense l'avoir trouvé un peu tard, mais pas trop pour que tous ses charmes s'effacent).
On doit lui reconnaître, d'abord, quelques qualités intemporelles. Il est bien écrit, et doté de ce sens du lieu qui est celui de tant de grands romans — il suffit de se laisser prendre au charme d'un beau passage pour bientôt se croire devant les eaux cristallines d'un archipel de la mer Égée (« It was the world before the machine, almost before man, and what small events happened, the passage of a shrike, the discovery of a new path, a glimpse of a distant caïque far below, took on an unaccountable significance, as if they were isolated, framed, magnified by solitude. It was the least eerie, the most un-Nordic solitude in the world. Fear had never touched the island. If it was haunted, it was by nymphs, not monsters. » — passage d'ailleurs amusant à la relecture). Fowles est aussi un excellent conteur qui maintient l'attention du lecteur, voire la captive, malgré la longueur de son roman, en accélérant progressivement les événements et en proposant quelques scènes assez hallucinantes, décrites avec une précision cinématographique.
Qualité qui est aussi un défaut, The Magus est un livre intelligent. Il l'est parfois de manière assez horripilante, lorsqu'il empile les références littéraires sans but perceptible (les références shakespeariennes sont dans l'ensemble gratuites) et quand il surcharge l'espace symbolique. Il l'est aussi par la subtilité certaine de son propos, étrangement dissonante avec son goût pour l'exagération.
En substance, j'ai été frappé par la manière dont Fowles, derrière l'apparent enchaînement des rebondissements, inverse son propos à la fin du roman. La figure “divine” de Conchis procure à Nicholas Urfe, protagoniste banalement égoïste, ce qu'il veut entendre : qu'il est exceptionnel, que sa vie a un sens, qu'il existe une aristocratie humaine, que l'amour parfait attend au coin de la porte. L'épisode (quasiment) final du procès et de la désintoxication démolit cette illusion chérie par Urfe. Le lecteur, qui est sans doute concerné à un titre ou à un autre par le portrait de la modernité narcissique d'Urfe, ne peut s'empêcher de se sentir brusqué par ce tournant de Fowles, aidé en cela par la narration à la première personne.