Un ami historien, lecteur de la première heure de ce roman, m’en avait parlé un peu étonné par le succès de l’œuvre. Pas assez intrigué, c’est la polémique autour du Goncourt qui a permis à ce livre de se frayer un chemin jusqu’au sommet de ma pile à lire. Quoiqu’on en dise, le buzz, on y est tous sensible !

Et ce bouquin surfe avec tant de grâce sur l’actualité profitant d’un incroyable hasard du calendrier, fortuit puisque le bouquin est sorti un an avant la guerre en Ukraine.

Le livre répond donc opportunément à cette envie de découvrir la mécanique russe et l’avènement du Tsar Poutine, comme le surnomme l’auteur. Et c’est là, la seule force du livre. Car oui, je trouve ce livre largement surcôté.

Si le style est bien travaillé et rend la lecture agréable, la vulgarité de la ficelle narrative me bloque. Un touriste dont on se fout royalement rencontre un type mystérieux et silencieux qui devient comme par magie une pipelette qu'on ne peut interrompre durant 200 pages. Bien sûr que ce genre de livre a besoin d’un prétexte, mais j’aurais apprécié un peu plus de finesse.

D’ailleurs ce manque de finesse m’a poussé à me poser une question tout au long du roman : pourquoi l’auteur habitué à la forme de l’Essai a-t-il choisi celle du roman. Rien ne le justifie vraiment.

Car on a clairement affaire à un essai mal travesti. Le roman a cela de pratique qu’il permet d’excuser les libertés de l’auteur. Sait-on réellement ce que pense Poutine ? Sait-on vraiment comment fonctionne l’État Russe ? Sait-on véritablement où se situe le pouvoir ? Toutes ces questions mystérieuses, l’auteur les tranche sans nuance donnant naissance à un récit superficiel où tout est transparent, tout s’explique, tout est évident.

Oui, le roman nous donne une belle histoire explicative, simplificatrice à outrance comme sait le faire le journalisme bas de gamme. On n’en sort en se disant : « Ah, mais c’est pas si compliqué le système russe, c’est pas si compliqué le pouvoir… ». On s’intéresse aux hommes sans s’attarder sur un système, sur une bureaucratie, bref sur l’État russe. Je ne sais pas si Poutine est l’État russe, mais j’aurais aimé une réflexion autour de cette question : comment Poutine a-t-il réussi à obtenir l’adhésion totale des corps intermédiaires, de l’armée (cette histoire de vœux en Tchétchénie comme explication est un peu ridicule), de la police, de la télévision et de la société toute entière. Bref, comment les anciens puissants ont-ils perdu leur place ? Le livre n’y répond pas vraiment. Tout est terriblement superficiel et cette superficialité se cache derrière des réflexions d’une pauvreté crasse sur le pouvoir.

A ce titre, l’avant dernier chapitre est édifiant : une sorte de délire cosmique entre transhumanisme apocalyptique et thématique cyberpunk réussissant l’exploit improbable de caser le mythe eschatologique moderne de l’intelligence artificielle.

En revanche, j’ai apprécié les réflexions de Baranov sur la différence entre Europe et Russie, sur les humiliations structurantes du peuple russe (Eltsine vs. Clinton, fin de l’URSS, expansion de l’Otan) qui donnent une clef d’explication intéressante à la politique étrangère russe. Enfin, de ce côté-là, ça ne casse pas non plus trois pattes à un canard, cela a déjà été écrit par maints observateurs.

En bref, pas une lecture désagréable, mais pas l’incroyable roman russe moderne que nous vend la quatrième de couverture.

Créée

le 1 févr. 2023

Critique lue 102 fois

2 j'aime

Critique lue 102 fois

2

D'autres avis sur Le Mage du Kremlin

Le Mage du Kremlin
Cannetille
10

Une lecture fascinante

Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...

le 7 sept. 2022

18 j'aime

4

Le Mage du Kremlin
Dagrey_Le-feu-follet
8

Baranov, le Raspoutine du Tsar

On l’appelait le « mage du Kremlin ». L’énigmatique Vadim Baranov fut metteur en scène puis producteur d’émissions de télé-réalité avant de devenir l’éminence grise de Poutine, dit le Tsar. Après sa...

le 9 août 2024

16 j'aime

18