hronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=DrNIP8h13YI
Je suis encore une fois un peu partagée à la lecture de ce roman. D’un côté, je pense pouvoir dire que c’est l’un des mieux écrits de la sélection. Da Empoli a une plume à la fois efficace et élégante (en quelques mots, il arrive à croquer un personnage, non sans ironie, la première apparition de Poutine par exemple : « un blond pâle aux traits décolorés, portant un costume en acrylique beige, arborait une mine d’employé, veinée d’une imperceptible pointe de sarcasme »). Il maîtrise le sens de la narration, sait quand se taire, quand laisser le lecteur travailler — aucune faute de goût n’apparait, aucune construction de phrase bancale, ça coule, ça roule, c’est agréable à lire. Si la plupart des personnages sont bien campés, on regrettera que le seul personnage féminin coche toute les cases de la femme fatale russe : un peu cruelle, un peu dangereuse, imprévisible, Ksenia, c’est un mélange de James Bond girl et d’une page de site de marieuse de l’Est. A côté, apparait l’enfant à la fin, symbole d’une innocence presque angélique, point d’arrêt de la carrière de Baranov (on peut regretter aussi cette facilité scénaristique, qui donne une impression de finir en eau de boudin, comme si le bouquin s’arrêtait au milieu — en effet, la partie sur la grandeur et l’hybris de Poutine est très succincte, on assiste plutôt à son accès au pouvoir et au durcissement de son image.)
On revient sur des évènements importants de l’histoire de la Russie, la chute de l’URSS, les relations avec les Etats-Unis, les indexations de territoires, c’est assez instructif, mais je pense qu’une personne renseignée n’y apprendrait pas grand-chose (je n’y ai pas appris grand-chose alors que c’est pas un sujet qui m’intéresse particulièrement). En parlant du sujet, d’ailleurs, j’ai l’impression que c’est celui du Goncourt actualité brûlante (entre deux livres qui parlent de la seconde guerre mondiale, une enquête-fleuve, un science-fiction bancal et une ou deux autofictions).
Ce qui nous intéresse, finalement, c’est Poutine, et d’en faire un personnage secondaire, voire tertiaire aurait été pertinent si à côté, le personnage principal avait été plus creusé : on connait des choses sur sa famille, sur sa femme, mais finalement, lui, son intériorité, ses motivations sont assez floues. Il semble se laisser porter par les évènements, pourtant à de nombreuses reprises, on nous dit qu’il est devenu un homme, un vrai auprès de Poutine… En fait, je pense que le problème, c’est que c’est lui qui se raconte, mais qu’il ne se raconte pas comme un auteur le ferait, en se considérant comme un personnage (qui vivra une progression, ou une non-progression, qu’en tout cas, ça soit un sujet). Non, lui se raconte comme s’il avait toujours été le même, comme si le Baranov quarantenaire ou cinquantenaire qui raconte son histoire était le même que le jeune homme qui monte les échelons du pouvoir. Et avec une certaine distance, ce qui fait, que finalement, tout ce qui le touche, personnellement ou professionnellement, le lecteur s’en fout un peu.
C’est donc un roman un brin académique (sa construction m’a fait penser à une de ces séries-biopic, comme The Crown, Tchernobyl, c’est léché, c’est élégant, ça peut renseigner sur des faits historiques, on prend un soin particulier à rendre les décors réalistes et plausibles, mais c’est aussi un peu désaturé, classique et sans grande originalité). L’analepse-fleuve, avec un récit cadre un poil artificiel, même la manière de garder sous le coude le personnage clé (Poutine) pendant le premier tiers, son entrée dans le livre m’a fait penser à la scénarisation d’une série. Et bien sûr, les quelques événements forts, comme la découverte de la poupée pour humaniser le personnage principal (le procédé de la poupée retrouvée dans des décombres déjà souvent utilisés dans la fiction pour exprimer les dégâts humains), manque parfois d’originalité.
Mais si le sujet vous intéresse, je vous le conseille tout de même.