SPOIL DANS CETTE CRITIQUE


Plus que l'histoire en elle-même c'est la façon dont K.Dick l'a écrite que j'ai aimé. Je m'explique.


J'imagine souvent K.Dick comme un mec fauché, sans sous, qui écrivait un tas de bouquin pour boucler ses fins de mois. Il écrivait beaucoup et de préférence il écrivait des bouquins qui devait plaire au lecteur, car à l'époque la SF était ce sous-genre réservé aux esprits simples qui n'étaient avides que d'aventure grandiloquentes. Ainsi K.Dick plaçait ses thèmes intellectuels et adultes dans des récits pulps qui devaient plaire au plus grand nombre. En tout cas dans sa première partie de carrière.
Ubik par exemple a un côté pulp. De l'aventure, un récit qui tient en haleine avec des concepts de SF très COOL.
Avec Le maître du haut chateau, K.Dick répond à un conseil avisé de son éditeur mais surtout de sa compagne qui lui conseille d'écrire un roman intellectuel. Un roman qui plaira à la critique et qui lui permettra de s'éloigner pour une fois du style pulp.


Ceci explique cela. Philip K.Dick se met au travail et écrit un roman dont le propos principal sera encore la remise en question de la réalité mais il se dit que pour faire intello il faut noyer le truc. Dans le roman tout ce qui est important est lointain, et toute la chaire du roman est superflue.


Et moi je trouve ça énorme.
Premièrement l'univers uchronique n'est pas facile à cerner. Il n'est pas écrit noir sur blanc que les forces de l'axe ont gagné la guerre et que l'aventure se déroule dans les années soixante. Le lecteur le devine petit à petit à travers les récits. Des récits qui sont les mésaventures quotidiennes de plusieurs personnages tout à fait communs. Un bijoutier américain travaillant pour de riches clients japonais, une femme un peu à l'ouest, un homme qui veut lancer sa propre activité commerciale et un japonais inséré dans les affaires politiques. On est obligé de suivre leurs vies, leurs petits soucis alors que l'univers qui les entoure est chargé d'interrogations (le lecteur trouve que c'est chargé d'interrogations. Les personnages, eux, n'en n'ont rien à foutre.)


Ce picth uchronique énorme qui n'est qu'en second plan ne s'arrête pas là. K.Dick, dans un soucis de réalisme, montre que l'histoire est encore en mouvement. Le lecteur qui vient à peine de comprendre que les allemands et les japonais ont gagné la guerre dans ce monde, comprend en plus que le IIIème Reich avance encore. Et cela grâce aux quelques détails politiques entendus ici et là qui montrent que des coup d'état se préparent et qu'il y a une tension naissante entre les deux grandes nations victorieuses. On aurait pu s'arrêter là. Mais non!


Dans ces histoires banales de protagonistes normaux, on entend parler d'un livre que d'autres personnages encore plus secondaires lisent. "La sauterelle pèse lourd". Ce livre arrive au premier plan quand la femme un peu paumée finit par l'obtenir et le lire. On apprend que c'est un ouvrage qui circule sous le manteau car il raconte la victoire des alliés en 1945, ce qui déplaît fortement au pouvoir nazi . Seulement si ceux qui lisent le livre le trouvent juste marrant, l’héroïne en question y trouve plus de choses. Elle a le sentiment qu'il cache une vérité.
L'élément qui revenait alors tout au long de l'histoire - le Yi-King japonais - trouve son intérêt ici lorsque l’héroïne l'utilise pour répondre aux questions qui se bousculent dans sa tête. L'ouvrage interdit qui raconte une autre Histoire dit-il vrai ? Le Yi-King répond que oui.
Cette réponse sera de nouveau confirmé lorsque la femme fera un tour chez l'auteur du livre si perturbant et qu'elle lui posera directement la question.


Que fait K.Dick alors ? Il nous pond un picth énorme, une idée superbe qui aurait pu donner un roman flamboyant, bourré d'action et de suspenses. Imaginez un écrivain poursuivi par les nazis pour un livre interdit. Imaginez des courses-poursuites à travers un univers bouleversé et étranger. Imaginez même que cela aille jusqu'à de la SF fantaisiste...genre que l'écrivain ouvre une brèche spatio-temporelle. Un picth énorme je vous dis. Une idée qui aurait pu être exploitée à fond si elle avait été pulp!
Mais non. Ce picth de base est pensé différemment par K.Dick. La façon dont il noie les choses, dont il récite son univers et dont il pose les questions est étonnante de retenue. Le livre "la sauterelle pèse lourd" raconte la victoire des alliés mais une victoire différente de la notre. Ainsi K.Dick nous pose des questions sur notre réalité mais encore une fois, il ne le fait pas directement. Est-ce un ratage de sa part ? Non. C'est son intention et il a eu raison car avec le Maître du Haut Château il obtiendra le prix Hugo. Il est pas con K.Dick, il a compris ce qu'attendait la critique : de la sobriété et de la frilosité intellectuelle


J'ai adoré l'idée du roman mais j'ai encore plus aimé la façon dont il l'a traité. Ça lui donne un aspect unique, on sent que la vérité sur cette réalité que tente de découvrir l’héroïne est très loin d'elle, incertaine et aussi impénétrable que le roman que nous tenons dans les mains.

-Alive-
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le 6 janv. 2014

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-Alive-

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