Tout commence à Moscou, deux hommes discutent, le premier se nomme MikhaÏl Alexandrovitch Berlioz, le rédacteur en chef d'une revue littéraire connue sous le nom de Massolit, le second est un jeune poète appelé Ivan Nikolaïevitch Ponyriev, qui utilise plus volontiers le pseudonyme de Biezdomny. On a donné à ce second un poème anti-chrétien à écrire, il s'est donc appliqué à traiter de la vie de Jésus en détruisant point par point celle-ci, mais cela n'a pas plu au commanditaire du texte, il demande donc conseil à son ami. Celui-ci lui répond que en terme de lutte laïque ce qui compte ce n'est pas de blasphémer, mais de prouver que le Christ n'a jamais existé, et il tient à prouver cela à son jeune compagnon. Soudain, un homme se mêle à la conversation, il semble étranger, mais aucun des deux protagonistes n'est capable de lui afficher une nationalité précise, d'autant plus qu'il use d'un russe impeccable. Le troisième personnage, lui, semble effaré de se trouver devant deux athées, et il compte leur prouver qu'ils ont tort, le fils de Dieu a bien existé. Il les étonne en leur donnant de singuliers détails sur leurs goûts, habitudes et vie privée. Il va même jusqu'à prédire la mort de Berlioz, par décapitation, le condamné à mort ne peut s'empêcher de rire de l'étrange prophétie. Puis, pour convaincre les mécréants de l'existence du messie, il entame le récit de la rencontre du Sauveur avec le procurateur de Jérusalem, Ponce Pilate, que l'individu dit avoir lui-même rencontré. Sa narration est si emplie de détails qu'on croirait la vivre. Berlioz et Biezdomny n'ont aucune idée du sort qui les attend, car ce n'est pas n'importe quel haruspice qui se trouve devant eux, mais le Diable en personne.

Quel étrange roman! On y trouve mêlées des références à la Bible, à la magie noire, à Goethe, à l'histoire politique russe sous Staline tout ça avec une belle et tragique histoire d'amour! J'ai la chance d'avoir lu la version contenue dans la collection Bouquins de Robert Laffont, remplie de notes écrites par d'éminentes universitaires. Même si j'aurais préféré me passer de certaines (je ne m'intéresse pas vraiment à la topologie moscovite...), les autres m'ont été d'un grand soutien intellectuel, bien que rendant la lecture moins naturelle et un peu plus pénible. Ses personnages ont tous des noms qui indiquent des caractéristiques morales ou physiques, souvent des défauts (LikhodieÏev : qui commet de mauvaises actions, Varienoukha : nom d'une liqueur alcoolisée, Fagot : Basson.. et j'en passe) impossibles à comprendre sans une connaissance approfondie de la langue russe. Il fait également référence à de nombreuses reprises à l'oeuvre de Goethe, Faust, que je n'ai pas encore lue, je n'aurais donc pas pu saisir les clins d'oeil sans le secours des notes. La plupart des passages magiques de l'intrigue représentent des situations réelles qui ont eu lieu sous la Terreur de Staline, enlèvements, disparitions, traitées par l'auteur avec énormément d'ironie. J'ai été impressionnée par sa réécriture de l'histoire biblique. On croirait lire une nouvelle histoire tout aussi passionnante, les personnages sont orientalisés, ainsi, Jésus de Nazareth devient Yeshouah Az Nori, ou on trouve un tel Judas de Kerioth... Le supplice de la croix est remplacé par des piloris et l'apôtre Mathieu est en fait un compagnon gênant qui précipite la perte de son maître par son trop grand zèle. Ce que je n'ai pas compris c'est que Boulgakov était farouchement opposé à la littérature anti chrétienne, or, avec son roman il rend le Diable plus que charismatique et sa réécriture relève du blasphème pour les croyants intégristes. L'histoire d'amour qui a donné le titre du livre n'apparaît que tardivement, mais sa puissance et sa beauté lui permettent de rester au centre du récit et de s'équilibrer avec les deux autres parties que j'appellerai le récit antique et le récit moderne. L'auteur dans une des péripéties met un des personnages dans une sorte de théâtre où il assiste à l'humiliation publique devant leurs proches de citoyens russes qui cachaient des devises à l'état. Cette scène me rappelle un "média" qui plait beaucoup aujourd'hui la télé-réalité, Boulgakov est un vrai précurseur pour l'époque. Il allie l'intelligence russe à une fantaisie que je n'avais jusqu'alors trouvée que dans les livres de son compatriote Nicolas Gogol, qui l'a d'ailleurs inspiré. Un livre à part, un peu difficile d'accès, mais qui vaut les efforts déployés pour le lire.
Diothyme
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le 26 mars 2011

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Diothyme

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