Un roman génial sur tous les points, d'une précision maladive, allant jusqu'à nommer parfaitement les chapitres. Rares sont les occasions de dire cela mais Boulgakov maitrise à un point que nul ne peut imaginer la science du chapitrage, du découpage jusqu'à son titre. Je me souviens encore du frisson d'excitation qui a parcouru ma moelle épinière rien qu'à la lecture de « apparition du héros », 250 pages après le début du bouquin. Et des moments comme ça, le roman en regorge.
On prend un malin plaisir à suivre les mésaventures de Biezdomny, Berlioz (le vrai pas le compositeur), du Maitre, de Marguerite et de toute l'administration du Théâtre des Variétés. On s'identifie sans peine à la trentaine de personnages secondaires tour à tour lâches, corrompus, radins, cyniques, affreux, victimes, prétentieux ou simplement détestables, persécutés par Woland et sa bande de voyous. Il faut souligner ici le plaisir masochiste qu'entretient le lecteur francophone à retenir les innombrables patronymes de la haute société russe.
Dénombrer tout ce qui se passe à Moscou serait criminel. Et je ne dirai absolument rien de la seconde partie merveilleuse et inattendue. Sachez seulement que sous ses airs de farce (hilarante), l'histoire cache une profondeur et un mysticisme hallucinant. Une réflexion sur la religion, la couardise institutionnalisée et la création tout en se permettant de faire une histoire d'amour poignante et pas gnan-gnan.
De tous mes tops 10, je croyais que le littéraire serait le plus indéboulonnable. Parce que j'étais bêtement persuadé que rien ne pouvait égaler l'effet d'un roman lu dans la ferveur de l'adolescence. C'est surement pour ça que je ne lisais plus vraiment grand chose qui ne soit pas sur du papier glacé. Or, dernièrement j'ai repris goût à la lecture. Pas tout seul d'abord, puis dans le bus et enfin dès que j'avais un moment de libre loin d'un ordinateur. Ce n'est guère étonnant quand on y réfléchit cinq minutes : je ne connaissais rien de la littérature russe.