Bonjour, ci-joint quelques pistes de réflexions pour développer une nouvelle vision du personnages d'Argan.
Le malade imaginaire apparait, si on y prête attention, comme très différente des autres textes de Molière et je crois que c'est une grosse connerie de ne voir en Argan qu'une simple variation de M. Jourdain ou d'Harpagon. Argan est un personnage qui contrairement à M. Jourdain ne se laisse pas avoir par ceux qui cherchent à le plumer. La scène 1 le montre épluchant la note de ses médecins. Dans la suite il n'est pas dupe du stratagème de la leçon de musique donnée par l'amoureux de sa fille et même la scène du poumon se finit par une révolte quand Toinette déguisée en médecin lui propose de se faire couper un bras.
Je crois qu'il faut envisager le texte radicalement autrement, à savoir prendre la maladie d'Argan au sérieux. Le terme de "malade imaginaire" donne une clef, Argan est réellement malade. De quoi est-il malade ? De son imagination. C'est à mon sens la manière dont il faut lire ce texte : Comme l'histoire d'un homme fort qui lutte contre sa maladie et sait la maintenir sous contrôle. Il est tout de même frappant tout au long de la pièce que celui que l'on présente comme fou soit le plus lucide. Lorsque Toinette critique sa femme Béline, il la défend puis accepte d'éprouver sin amour en simulant la mort. C'est quelque chose qu'Harpagon dont l'avarice forcenée révèle une angoisse de la mort n'accepterait jamais. Même s'il s'interroge sur "le danger qu'il y a à contrefaire la mort" Argan accepte. Compte tenu du fait que cela se déroule dans le cadre d'un théâtre, on peut voir là la démonstration d'un homme qui accepte d'affronter la mort. C'est idiot d'un faire un être faible.
Je suis étonné qu'en un siècle qui connait et pratique la psychanalyse, personne ne se soit penché sur la symbolique du "Malade imaginaire". La scène d'ouverture où Argan détaille et marchande les factures de ses médecins ne manque pas de faire penser aux difficiles rapports de l'argent et l'analyse, le paiement des séances étant à la fois un moyen de s'attacher le thérapeute et en même temps d'être indépendant de lui (ou d'elle). L'attitude d'Argan durant la scène d'ouverture témoigne d'une attitude assez saine de la part d'un "malade au travail" qui a conscience de la dépendance qu'il entretient avec son médecin mais sait se préserver d'une dépendance totale en payant ses services. Le fait qu'il veuille marier sa fille à un médecin constitue un dérapage classique de toute cure où le patient cherche à s'attacher son thérapeute comme unique objet d'amour. C'est "l'amour de transfert" qui constitue une phase émotionnellement violente d'une cure que l'on retrouve dans les récits d'analyse (ex: Marie Cardinal "Les mots pour le dire", Pierre Rey "Une saison chez Lacan").
La scène entre Argan et son frère est à mon avis le moment qui évitera que le dérapage (le passage à l'acte) s'accomplisse. La scène finale peut se lire comme la guérison d'Argan, devenir médecin lui permet d'acquerir la confiance en lui qui lui manquait au début. La scène lui permet d'accecpter le fait que la maladie imaginaire ne peut être guérie et qu'il lui faut trouver les moyens de vivre avec, non pas en en faisant une croix à porter mais comme un élément dynamique de sa vie. Argan trouve en devenant médecin son arrangement sociale il traverse son désir (cf: Dominique et Gérard Miller "Psychanalyse 6 heures 1/4" Dominique Miller "La psychanalyse et la vie").
Il est important de continuer à considérer que cette pièce est une comédie mais une comédie qui fait rire libérateur qui nous détache de l'emprise que nous avons avec nos névroses et folies. Je crois que c'est une erreur de faire de Thomas Diaforus un débile complet et de Béline une simple intrigante. Et si Thomas souffrait d'être écrasé par l'exemple d'un père qui devant sa futur épouse dévalorise son fils ? Et si Béline était réelement amoureuse de son mari ? Sinon comment jouer la scène qui est d'une infinie tendresse entre elle et Argan qu'elle appelle à cette occasion "mon petit fils". Il y a chez Argan dans le plaisir qu'ilprend de redevenir un enfant couché sur le sein maternel. Attitude de régression pourrait-on dire. Mais Béline ? Il faut bien qu'elle éprouve à cet instant elle aussi des sentiments sincères. Sinon pourquoi Argan si lucide se laisserait-il ainsi abuser ? Il faut bien imaginer que Béline éprouve vis-à-vis d'Argan sonmari des sentiments complexes de haine et d'amour mélangés qui ressemblent à ce qu'éprouve une mère pour son enfant qu'elle voit à la fois comme un trésor et comme un déchet. Il semble que Béline n'a pas d'enfant à elle.

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le 21 déc. 2020

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