Ce "roman", qui n'en est pas vraiment un, a été le premier vrai succès de Loti, publié en 1880, juste après Aziyadé qui était pratiquement passé inaperçu. Le mariage de Loti a inspiré l'opéra Lakmé à Delibes. Il est resté dans les mémoires comme la quintessence du roman exotique, emblématique de l'époque de la toute-puissance coloniale de la France, veine que Loti exploitera avec plus ou moins de bonheur dans certains de ses autres textes.
C'est l'histoire d'amour du jeune Harry Grant (rebaptisé Loti par Pomaré la vieille reine de Tahiti, nom qu'il gardera pour sa carrière littéraire) avec une suivante post-pubère de la reine, alors qu'il effectue en 1872 une escale en tant que membre d'équipage d'un navire de la flotte française. Loti avait une attirance très forte pour Tahiti, car son frère adoré et admiré, mort en 1865, Gustave Viaud, y avait passé du temps, et avait également vécu une histoire d'amour avec une jeune vahiné. Loti se laisse bercer par les mœurs locales, comme pour jouir d'une nouvelle vie, et également pour vivre ce que son frère avait eu l'occasion de vivre. Il se marie selon les coutumes locales avec la très jeune Rarahu, 14 ans, et joue pour elle un rôle de père, d'amant, de Pygmalion, en tentant de lui transmettre les raffinements de la civilisation occidentale. Directement tiré de son journal, comme nombres de ses textes littéraires, la plupart des personnages sont réels, sauf Rarahu, qui est un personnage inventé. Ce texte fleure bon le paternalisme colonial, avec sa dose de condescendance attendrie à l'égard des gentils autochtones simples d'esprit mais débordants de bonté.
Ce n'est franchement pas du meilleur Loti, car on a constamment l'impression que ce texte n'a pas été suffisamment travaillé, avec un déséquilibre entre le journal de voyage, et le récit d'un événement sentimental, et le livre oscille constamment entre les deux projets. Les passages quasi-ethnologiques sont un peu ennuyeux, car outre la pénible supériorité coloniale, ils visent à émerveiller et surprendre le lecteur de l'époque, et on finit par se lasser de ces surenchères d'exotisme souvent facile.
Mais même quand un livre de Loti est raté, on en tire toujours quelque chose. Les passages de description de la nature tahitienne sont superbes, avec luxuriance de vocabulaire et délicatesse du trait, et également le climat d'érotisme et de volupté dépeint par Loti, toujours excellent à décrire l'attirance charnelle, la beauté des corps et la présence rampante du désir.