Lorsqu'on parle de dystopie, c'est à dire un récit de fiction dépeignant une société qui a viré au cauchemar, la première image qui nous vient en tête est un univers quasi carcéral dirigé par un pouvoir centralisé fort, où tout le monde surveille tout le monde. Un univers à la Kafka ou à la 1984 de George Orwell. Pourtant, je dirais que la vision de Huxley est bien plus effrayante tant elle est proche des moyens de contrôle mis en place à l'intérieur de nos sociétés (disons que c'est une savante conjonction des deux).
Contrairement à Orwell ou la crainte, la haine, la méfiance, et toute sorte de sentiments négatifs permettent de maintenir la population sous contrôle, Huxley décrit un monde où c'est la jouissance, le plaisir, la facilité qui permet cela. Pas besoin de bannir les bouquins, les gens arrêteront d'en lire grâce à toute les autres distractions qu'on leur proposera. Pourquoi chercher à cacher la vérité, il vaut mieux qu'elle soit noyée au milieu de tout ce qui n'a aucune importance. La chercher, ce serait comme de chercher une aiguille dans une botte de foin; perdue qu'elle est dans un flot d'informations continu. Pas besoin de les priver de culture et d'éducation, ils s'en priveront eux même si on leur autorise certaines fausses libertés, si on trouve le bon soma. Dans "Le meilleur des mondes" comme dans "Retour au meilleur des mondes", Huxley dit plusieurs choses qui vont dans ce sens:
Le meilleur des mondes
"Un état totalitaire vraiment « efficient » serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d'esclaves qu'il serait inutile de contraindre, parce qu'ils auraient l'amour de leur servitude".
"Il faut que les rouages tournent régulièrement, mais il ne peuvent tourner sans qu'on en ait soin. Il faut qu'il y ait des hommes pour les soigner, aussi constants que les rouages sur leurs axes, des hommes sains d'esprit stables dans leur satisfaction".
Retour au meilleur des mondes
"Les gardiens des libertés civiles qui sont toujours en alerte pour s'opposer à la tyrannie ont oublié de prendre en compte l'appétit presque infini de l'homme pour les distractions".
"Sous l'impitoyable poussée d'une surpopulation qui s'accélère, d'une organisation dont les excès vont s'aggravant et par le moyen de méthodes toujours plus efficaces de manipulation mentale, les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques - élections, parlements, hautes cours de justice - demeureront, mais la substance sous-jacente sera une forme de totalitarisme non violent. Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu'ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusées et de tous les éditoriaux - mais une démocratie, une liberté au sens strictement pickwickien du terme".
"La terreur en tant que procédé de gouvernement rend moins bien que la manipulation non violente du milieu, des pensées et des sentiments de l’individu".
Huxley lui même était effrayé de la vitesse à laquelle notre monde ressemblait de plus en plus à son cauchemar.
En plus de cela, le meilleur des mondes se lit vite, et même s'il n'est pas une grande œuvre littéraire, les idées et questionnements qu'il véhicule risquent bien de vous mettre le cerveau en ébullition..
En espérant par cette modeste critique vous avoir convaincu que le meilleur des mondes est un bouquin à lire et à relire et que vous pourrez agréablement prolonger sa lecture et votre réflexion avec l'essai qui le suit, "Retour au meilleur des mondes".