Dans une interview parue en 1984 à l'occasion de la promotion du film de David Lynch, Frank Herbert avouait :



Le Messie de Dune est un livre triste qui retourne subitement la
toile, il change votre point de vue sur l’histoire. C’est pourquoi
beaucoup de gens ont un problème avec.



Herbert s'est en effet joué de nous, volontairement. Avec Dune, il avait créé un leader charismatique, un être honnête, digne de confiance, loyal envers son peuple. Un leader que nous étions prêts à suivre sans résister, sans poser de questions, tant sa cause paraissait noble. Au début du Messie de Dune, douze ans ont passé, et un jihad a été mené dans toute la galaxie, au nom du nouveau leader, entraînant des milliards de morts dans son sillage, la stérilisation de dizaines de planètes opposées au nouveau pouvoir. Effrayant.


Le lecteur pourrait aisément se sentir trahi. Pourtant, "les structures de pouvoir, nous explique Herbert, deviennent essentiellement des réceptacles. Car elles accueillent en leur sein un grand nombre de gens qui ne désirent le pouvoir que pour le pouvoir, pour qui le pouvoir est une fin en soi. Mon estimation est qu’un très grand pourcentage de ces gens sont fous à lier. Et que les erreurs d’un leader - aussi bon soit-il - sont amplifiées par le nombre de ceux qui le suivent sans poser de question." Et c'est exactement de cela dont il est question dans le Messie de Dune. Paul Atréides, fort de ses pouvoirs, se trouve naturellement placé au centre d'un vortex que, malgré toute sa prescience, il ne peut contrôler. Toute sa vie il cherchera à éviter le jihad, puis, quand il comprendra son inéluctabilité, à éviter un futur pire encore. Qu'en déduire ? Que la faute est essentiellement sur les épaules de ceux qui suivent sans questionner. Finalement, le lecteur se trompe avant, dans Dune, quand il décide de suivre aveuglément ce Kwisatz Haderach, en bon "jihadiste" qu'il est. Dans le Messie de Dune, Herbert nous ouvre les yeux sur la réalité des choses, sur les conséquences terribles des choses, et nous invite, par ricochet, à réfléchir sur nos adhésions parfois instinctives aux discours politiques et religieux que nous entendons. On devrait plutôt le remercier.


Mais au-delà de cet aspect politico-religieux, le Messie de Dune reste avant tout un formidable roman. La force de Herbert, malgré son envie de faire réfléchir sur l'Histoire, est de ne jamais oublier qu'il raconte une histoire et qu'elle doit captiver son lecteur. Et elle le fait ! Son univers s'enrichit dans ce deuxième opus avec l'entrée en scène des fascinants gholas et danseurs-visages. Le scénario du roman est passionnant de bout en bout, et réserve son lot de surprises au lecteur.


Le Messie de Dune est enfin un roman de l'intérieur, tant nous partageons souvent les pensées de ses personnages, qui gagnent en complexité, en réalisme qui ne peut susciter que la fascination. Tous en deviennent attachants à leurs manières, grandis par la richesse de leur personnalité ; car rarement l'intimité entre le lecteur et ses héros aura été aussi intense. Et derrière ces géants aux pouvoirs inégalés, du changeur de forme au prescient en passant par le ressuscité à la mémoire recouvrée, nous n'en sommes que plus émus de découvrir des êtres torturés, humains à tous égards ; à notre échelle finalement. En témoigne cette confession poignante de Paul :



La chair s'abandonne, pensa-t-il. L'éternité se retire. Les eaux
circulent brièvement dans nos corps. Brièvement nous sommes
intoxiqués par l'amour de la vie, brièvement, nous nous fixons
sur d'étranges idées avant de nous soumettre aux instruments
du Temps. Que pouvons-nous en dire ? Je suis advenu.
Je ne suis pas, pourtant je suis advenu...


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le 11 déc. 2015

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